jeudi 30 décembre 2010

Sessions de rattrapage



Commençons par le moins bon, ou par le moins fait pour moi : kaltenburg de marcel beyer chez Métaillé. ce roman allemand est incontestablement ambitieux, raconter l'histoire de l'Allemagne en écrivant la vie inventée de Kaltenburg, un ornithologue. De facture classique, le roman a la bonne idée de faire raconter l'histoire par un disciple du maître qui l'a connu enfant. c'est l'anti livre coup de poing. tout est souterrain, à peine murmuré, c'est un livre assez silencieux, qui raconte l'histoire de l'Allemagne de 1930 à nos jours. Les événements politiques (nazisme, hitlérisme, communisme) sont plus suggérés que décrits par le menu. L'auteur excelle a décrire des vies étouffés sous le poids de la politique ou les horreurs de la guerre.
Le personnage principal m'a fait penser à konrad lorenz et présente pour moi un inconvénient majeur : il est zoologue, s'intéreses au monde animal. Or je crois que je n'ai jamais tenu plus de 2 minutes devant un documentaire animalier. Cela a rendu ma lecture du livre un peu difficile, en dépit de ces incontestables qualités littéraires et de son talent pour raconter l'histoire de biais, qui m'a beaucoup plu.


Deux livres dont on a eu raison d'écrire beaucoup de bien :
Indignation de Philip Roth chez Gallimardd. De Roth, je préfère Pastorale américaine à la tâche et je trouve qu'indignation est plus rpoche du premier que du second. c'est un roman bref, Roth est un vieux monsieur malade je crois. Dans les années 50, Marcus, un jeune homme qui vient d'avoir l'équivalent du bac étouffe dans sa famille, son père ayant été pris d'une sorte de sur protection pour cet enfant unique. Il est vrai qu'il est juif et que la famille du héros a payé un lourd tribut à l'histoire, des cousins morts en Europe pendant la guerre. Et le danger de la guerre de Corée plane. Marcus fuie donc sa famille et part pour une université de province, bien réac. Et à partir de là, les catastrophes vont s'accumuler. On retrouve le talent de Roth, notamment pour décrire la vie de famille, avec le père boucher (on pense à la famille de tanneurs dans pastorale américaine). l'écriture est précise, le roman plutôt bien compris : la visite de la mère de marcus à l'hôpital est un grand moment. On pense aussi au film de kazan, la fièvre dans le sang (notamment pour les aventures amoureuses de marcus avec une jeune fille). Reste que l'évolution du héros est peut être un peu rapide et le roman se termine un peu vite. EN même temps cela lui donne des allures de conte philosophique. On y découvre aussi le combat pour la laïcité outre Atlantique...
Purge de Sofi Oksanen aux éditions du Seuil est un premier roman très réussi. Soit la rencontre entre deux femmes l'une jeune et l'autre pas. La première arrive dans le jardin de la seconde durant une nuit. L'intrigue se déroule en Estonie et les deux femmes ne sont pas si inconnues l'une à l'autre qu'il semblait en premier lieu. La construction est très maîtrisée, alternant les époques, retraçant là aussi l'histoire politique de ce pays balte devenu république soviétique après avoir été envahi par les troupes nazies. Autant dire, des terres marquées par les tragédies de l'Histoire qui déchirèrent aussi des familles. Roman historique, Purge est aussi un roman d'amour impossible, difficile à lâcher tant le sens du suspense de l'auteur est grand. Si ce sont les hommes qui font les guerres, les femmes en sont aussi les victimes. c'est ce que montre ce roman.

Le temps matériel de Giogio Vasta (Gallimard) est sûrement le roman le plus important de l'année que j'ai lu. C'est aussi un premier roman, et la maîtrise de l'auteur est impressionnante. Naples années 70 pendant ce qu'on appelle les années de plomb où le terrorisme d'extrême gauche. Une bande de gamins plus ou moins fasciné par les terroristes monte une sorte de gang et entreprend de réaliser des actions. D'abord potaches, l'escalade les conduit à commettre un crime, dont la description est un des pires cauchemars éveillés qu'il m'a été donné de lire.
IL est vrai que dès le début du roman la cruauté est là : les sévices imposées à un vieux chat par le narrateur indiquent qu'on n'est pas dans un monde où l'enfance est douceur et innocence.
Il montre aussi la révolte d'enfants face aux mensonges des adultes, au sentiment d'irréalité du monde quand les mots n'ont plus de sens. Le temps matériel est un roman qui parle du langage, de son lien avec la politique ou le corps, encore une fois de la difficulté à faire coincider monde intérieur et monde extérieur par le langage (le trio d'enfants inventera son langage à lui, où le corps se fait signifiant), tandis que le héros tombe amoureux d'une jeune fille muette, donc au delà des mensonges des mots.
"j'avais envie d'être coupable.
C'est un mot qui me plaît coupable" Même si je n'ai jamais le courage de l'être".
Car le temps matériel est surtout un style, poétique des images cauchemardesques par moments. Naples y fait figure d'un enfer terrestre, une ville accablée de châleur,délabrée..
Un roman qui se termine par ses mots, et les 355 pages mènent à cette splendeur : "Dnas le silence de cette dernière minute, penché sur le corps penché de mon amour, de mon amour sans mémoire, de mon amour réel et inventé, de mon amour créole, créé, j'éocute le bourdonnement futur de la matière qui mêle en moi et en elle les étoiles aux os, le sans à la lumière, le bruit que fait la transformation infinie de la maitère en douleur et de la douleur en temps.
Et c'est seulement maintenant, quand les étoiles éclatent en pleine obscurité, dans l'élaboration de notre nuit, qu'après les mots viennent enfin les larmes".
Un livre difficile pour bons lecteurs, dont j'aimerai pouvoir parler mieux.

dimanche 12 décembre 2010

2010, l'année où les goncourt ont raté Fabrice Humbert


On a beaucoup dit que le jury goncourt ne pouvait pas rater houellebecq cette année, obsédé par l'obscur écrivain qui l'emportât l'année ou Proust publiait je ne sais plus quelle tome de la recherche ou malraux la condition humaine. c'est le même baratin que pour les impressionnistes, le chantage à la postérité qui oblige tout le monde à vanter la première installation venue de peur d'être moqué plus tard. je prends le pari qu'on dira plus tard que les goncourt ont préféré un inconnu qui s'appelle houellebecq, oubliant au passage le grand roman de Fabrice Humber, la fortune de sila.
Car n'en déplaise aux nouveaux monsieur Omais de la critique littéraire (j'ai lu que beigbeider ou yann moix, qu'importe lequel au fond, l'un et l'autre pérorent sur le talent des autres pour mieux masquer qu'ils n'en ont pas avait écrit que "houellebecq était notre balzac, et même que balzac fut notre houellebecq". c'est dire l'état de la critique littéraire !).
la fortune de Sila avait tout pour ne pas être primé. D'abord c'est un bon livre. ensuite c'est un livre ambitieux. et pour ne rien arranger c'est un roman classique sans partouze. Rien de bling bling ni d'ostentatoire, non juste un grand roman. ou à partir d'un incident dans un palace parisien - l'agression d'un serveur noir par un homme d'affaire yankee - l'auteur décrit les nouveaux maitres du monde, du trader ambitieux à l'oligarque russe en passant par les subprimes et l'africain venu chercher refuge au nord.
C'est le contraire du roman à thèse. Pour humbert, les maîtres du monde (en fait les serviteurs du véritable maître qu'est l'argent, une histoire au moins vieille comme balzac, enfin houellebecq ou beigbeider, à moins que ce ne soit moix) sont des êtres brisés. Le propos n'est jamais manichéen. Parmi le quintet de personnages principaux, le couple formé par Mathieu et Simon est parmi les plus réussis. les deux amis, parisiens, qui connaitront l'ivresse des sommets et certaines profondeurs renouvellent le couple Lucien de Rubempré, Rastignac.
a noter aussi les très beaux personnages féminins, notamment la femme d'un entrepreneur de Floride et la femme professeur de français, femme de l'oligarque russe. une figure de la résistance de la culture face à la barbarie de l'argent roi particulièrement réussie.
Croyez moi 2010 restera l'année où les Goncourt ont raté Fabrice Humbert.

PS : cette même année, fabrice humbert a eu le renaudot du livre de poche (et oui ça existe) pour l'origine de la violence

Sessions de rattapage (suite)

Quelques impressions sur des ouvrages lus récemment (le blog reprendra sa forme normale après) je parle ici DE TRES BONS livres mais je n'ai pas le temps de faire plus

Dans le secret de Jérôme Ferrari (actes sud) réussit à faire dans un livre ce que Christophe Honoré a raté à mon avis dans "non ma fille tu n'iras pas dansé". A travers le destin de deux frères, l'un séducteur invétéré, l'autre dépressif aboulique, il raconte l'histoire de l'insconscient local, corse en l'occurence, ou comment la vie de chacun est marqué par les légendes qu'on lui a narrées, d'une histoire remontant au 16 e siècle à celle d'un aieul chassé par une sorte de bandit racketteur ou encore de ces ancêtres partis à paris et que l'on a rapatriés pour les enterrer sur l'île. le tout dans une langue poétique et précise. Un livre qui raconte une histoire contemporaine. les héros sont fatigués

Des éclairs de Jean Echenoz est ce qu'on appelle un petit bijou, l'histoire de Gregor, l'inventeur du courant alternatif notamment. et il n'y a pas que le courant qui l'était. sa vie en dents de scie alterne succès d'un inventeur génial et malheurs d'un pitoyable homme d'affaires qui n'aura jamais la fortune que ses inventions pourraient lui donner. Gregor aime les oiseaux et passe sa vie dans les chambres d'hôtels, accumule les tocs... tout l'art de conteur d'echenoz est là, avec cet humour particulier

session de rattrappage


beaucoup de travail, beaucoup de livres pour le prix cultura du web et de chorniques de la rentrée littéraire, et puis l'automne qui s'étire, la neige qui tombe, la pagaille qui n'est pas.. enfin bon, je ne vais pas remplacer catherine laborde
juste signaler quelques critiques publiés sur le site chroniques de la rentrée littéraire:
Sous un ciel qui s'écaille de Goran Petovi - une très belle métaphore de la yougoslave à travers la description d'un cinéma - c'est ici..
Libres jeunes et assoupis de romain monnery - un premier roman intéressant, drôle, inspiré de l'univers des séries télé- c'est là

Et puis, un livre que je n'ai pas beaucoup aimé, mais dont la critique a été très discuté, j'ai dû passer à côté, ça arrive : nous étions des êtres vivants ce sera ici aussi

Et deux mots sur deux lectures qui commencent à remonter que je n'ai chroniqué nulle part

Féroces de Robert Goolrick aux éditions anne carrère m'a fortement déplu. Pendant les deux tiers du livre, il y a quelque chose de fort dans cette manière qu'a l'auteur d'abimer peu à peu l'image de la famille parfaite qui est la sienne. tout commence dans la bonne société du sud des Etats Unis.. mais un terrible secret ronge la famille de l'intérieur. la description de cette décomposition est plutôt réussie. Le dernier tiers m'a en revanche beaucoup moins convaincu. et les deux dernièes pages sont assez choquantes. on retrouve là un des problèmes des narrations à la première personne. quelqu'un qui raconte aujourd'hui son passé n'attendrait pas les dernières pages pour révéler le secret de la famille. Y'a quelque chose d'obsène à faire du suspense avec l'inceste. et dans le pathos le livre n'évite pas un certain nombre de clichés (l'enfant violé qui devient auto destructeur, incapable d'aimer..)

Plus réussi, beaucoup beaucoup plus réussi Comme personne d'Hugo Hamilton chez Phébus. là aussi un secret de famille. A la fin de la seconde guerre mondiale, une mère dont l'enfant est mort va remplacer cet enfant par un orphelin "trouvé" qui reprendra le prénom de l'enfant disparu, Grégor. c'est la vie de Grégor le second que raconte Hugo Hamilton. Peu à peu, il découvre la vérité, ou plutôt cherche à s'en approcher, sans être jamais sûr de la trouver. A travers la vie de cet enfant, c'est l'histoire de l'Allemagne que raconte Hamilton aussi, alternant scènes de la fin de la guerre et scènes contemporaines dans une Allemagne apparament réunifiée. L'enchevêtrement des souvenirs et des générations est subliment construits, l'auteur passant d'un chapitre à l'autre, d'une période à l'an de façon subtile avec un art savant du montage comme disent les critiques. Un très beaux romans accessibles à tous..

potiche n'est pas cruche

Rien à ajouter sur la géniale catherine deneuve ou l'immense depardieu. Le propre du génie c'est qu'on ne s'en lasse jamais.
Le film d'Ozon me semble devoir retenir l'attention pour ce qu'il fait si bien derrière la légèreté de la pièce de boulevard très futile. Car ce qu'Ozon réussit magnifiquement c'est à mêler le rire "potiche" à une nostalgie qui prendrait presqu'à la gorge. Depardieu et deneuve, le couple mythique du cinéma français se retrouve, le temps a passé, on connaît la vie de l'un, on imagine celle de l'autre. l'un se brûle dès qu'on lui tend un micro, l'autre protège tellement sa vie.. et pourtant, le temps passe, nous dit ozon, et si la vie est belle, s'il est bon de rire, n'oublions jamais le tragique de tout ça. deneuve ni personne n'aura plus jamais vingt ans.
filmer le temps qui passe, la nostalgie de ce qui a été, sans sombrer dans un pathos facile, mieux, en faisant rire de ce passé de pacotille comme le sera demain notre présent qui se croit tellement mieux est la plus belle réussite de François Ozon.

mardi 31 août 2010

Voir ailleurs si j'y suis


Cette année, j'ai à nouveau accepté de participer au site chroniques de la rentrée littéraire, qui cette année est devenu, la même chose Cultura, du nom du magasin éponyme, comme on dit quand on veut faire son malin

J'y ai signé les chroniques suivantes,

le coeur régulier d'olivier Adam

Mon préféré pour le moment : Parle leur de batailles, de rois et d'éléphant de Mathias Enard

L'homme mouille d'Antoine Sénanque

Passé sous silence d'Alice Ferney

Lisez les et votez pour ces critiques si elles vous agréent..
d'autres à suivre.... bientôt

dimanche 15 août 2010

Engeland Pierre Cendors edition Finitude


Etant moi même journaliste (dans un domaine éloigné de la critique littéraire), je ne vais pas faire de l'anti presse pirmaire, mais juste poser une question : que font les critiques littéraires ? Comment se fait-il qu'il faille pousser la porte (c'est une image) du Virgin megastore des Champs Elysées pour découvrir sur une table avec un de ces petits papiers de libraires que je déteste pourtant pour découvrir Engeland de Pierre Cendors, et découvrir qu'il a déjà écrit plusieurs romans. Sûrement quelques revues savantes l'ont remarqué, mais les autres, que diable font-ils d'autre que de s'épier les uns les autres pour critiquer (et je suis généreux en parlant de critique quand de plus en plus souvent le compte rendu de lecture ressemble de plus en plus à une quatrième de couverture) les mêmes livres ? Et découvrir ça ne vous dit rien ?
Bon, trêves de critiques et essayons de parler de bien de ce qui nous a ravi et surpris, c'est plus difficile, mais tellement plus intéressant à faire... Engeland, c'est d'abord un beau livre, oui un bel objet, un beau papier, une couverture en papier buvard épais, une illlustration choisie, une sorte de photo façon surréaliste en noir et blanc, superposition d'un homme en haut d'un immeuble et de l'oeil d'une femme, d'un titre écrit en élégantes lettres bâton. Et tout est déjà dit.
L'intrigue se déroule à Berlin au début des années 30, quand la capitale allemande était à la pointe de la création, entre Bauhaus et expressionisme. Deux enfants Fausta K. et celui qu'on surnomme Houdini vivent une amitié d'une rare intensité "Pas un jour ne se passe sans que l'un ne se dédouble en pensée dans l'autre", écrit Pierre Cendors. Le jour où Houdini chute et devient handicapé, Fausta se retrouve seule, et toute sa vie, elle éprouvera ce manque qui fera d'elle une photographe obsédée par cette absence.. D'ailleurs le roman alterne le récit linéaire et des extraits du catalogue d'une grande rétrospective de Fausta K., rétrospective portant le poétique nom d'"empreintes du silence".
Engeland est à la fois une réflexion sur l'Art photographique, sur tout Art, sur la quête désespérée du créateur qui cherche à dire ce qui ne se dit pas, à montrer l'inmontrable, tout en étant un roman à suspense, qui m'a fait penser par moments au cavalier suédois de Leo Perutz (pour le talent de manipulateur du romancier). En effet, à un moment du récit réapparaît un tableau représentant Houdini qui nourrit l'intrigue : qu'est devenu Houdini ? On tremble d'autant plus pour lui que l'on est en 1930 à Berlin, les deux enfants se retrouveront-ils un jour ? Car, et c'est le troisième niveau de lecture (et il y en a sûrement d'autres, voir la référence à l'excellent blog découvert à cette occasion à la fin du texte), Engeland est aussi une réflexion sur l'Histoire, Fausta, ayant été témoin occulaire (comme aurait écrit le génial Ernst Weis) de la folie européenne... le livre roman se terminant du côté de Tchernobyl, là où les animaux ont repris possession de la ville d'où les Hommes ont été chassés.
Le seul reproche que l'on peut faire à l'ouvrage est qu'il est nourri de théories esthétiques, notamment durant les années d'apprentissage de Fausta, initié à l'art photographique par un étonnant professeur. De telles considérations rebuteront sûrement certains lecteurs. Ils auront tort. Qu'ils s'accrochent, ils auront la chance de découvrir un auteur dont ils entenderont parler un jour prochain, forcément, qu'ils auront la chance de découvrir une prose classique et moderne. "Un souvenir peut-il être si fort, au point de se transformer en archive de l'avenir ?", écrit Cendors.



Sur ce blog, une analyse très intelligente et très savante :
à la fin du billet la bande annonce du roman, réalisée par les éditions Finitude
http://notedusouterrain.canalblog.com/archives/2010/06/19/18361208.html

vendredi 30 juillet 2010

Le dernier roi d'angkor Jean Luc Coatalem Grasset

Cela fait longtemps que je tourne autour de cet auteur, que je feuillette ces livres que ce que lis sur lui me donne envie de le lire et en même temps quelque chose me retient. Avec le dernier roi d'Angkor, j'ai franchi le pas.

Le dernier roi d'Angkor c'est Bouk, aussi appelé Louis Noël, un enfant à peine plus vieux que le narrateur. Dans les années 60 70, le grand père a pris sous son aile cet orphelin qui passait ses dimanches avec cette famille de la fin de semaine avant de rejoindre un orphelinat peu attirant.
Que les amateurs de récit passe leur chemin. Il n'y en a pas ou si peu ici (le coup de théâtre final est un des trucs les plus bâclés que j'ai jamais lu, en termes d'intrigue. Ne le reprochons pas à Coatalem, ce n'est pas son propos ici. Le récit tient plutôt de cet autre genre que j'appellerai la déambulation poétique, l'évocation d'un monde disparu, soit l'enfance du narrateur.. la vie d'avant, celle où tout était encore possible quand, comme l'écrit l'auteur, "nous étions tombé entre les pages d'un livre merveilleux qui nous élargissait", où "toutes ces histoires nous contenaient". C'est ce qu'il écrit à propos de la mythologie familiale.
Après une rupture amoureuse, résultant de la stérilité du couple (coatalem écrit de très belles pages à ce propos), l'envie de retrouver celui qui a disparu (car Bouk a disparu se fait fort).. Commence la recherche avec des accents quasi à la Modiano (la visite d'un témoin de l'époque aux portes de Paris), même si les styles d'écriture n'ont rien à voir. Disons le, c'est ce qui m'a le plus gêné, cette écriture trop "littéraire" pour moi, surtout au début, cette volonté de produire de l'image à tout prix. un exemple au hasard : "sous le dôme des marronniers, je déchiffrai la mort rieuse sur son visage". c'est incontestablement très beau, mais trop travaillé à mon goût. Cela ressort plus de l'effet que du style. (A cet égard, ce n'est sûrement pas un hasard si mon cinéaste préféré est Mankiewicz qui considérait que le meilleur style était celui qui ne voit pas). Ce n'est sûrement pas un hasard non plus si le roman de Coatalem cite à plusieurs reprises Wong Kar Wai qui me semble être le contraire absolu de cet idéal mankewien. Pour être complètement juste, Coatalem n'écrit pas toujours de cette façon un peu ampoulée... son écriture est le plus souvent classique dans le meilleur sens du terme.

Pour retrouver Bouk, le narrateur va donc entamer des démarches tomber amoureux d'une jeune asiatique (les pages sur leur passion sont très bonnes, l'obsession de la passion étant décrite avec très peu de mots et d'effets justement), aller à Angkor, ce qui nous vaut de savantes digressions sur le devenir des civilisations, l'obsession et la nécessité du souvenir de Bouk pour le narrateur ou de la conservation des ruines pour les archéologues sur place.... jusqu'au retournement final et à une jolie rencontre dans un avion. Car c'est un des mérites de ce livre qui suit le flot de la mémoire : la progression surprend en permanence du début à la fin..

jeudi 29 juillet 2010

Spin Robert Charles Wilson Folio SF


La science fiction n'est pas mon univers naturel, c'est sûrement un des premiers livres de ce genre que je lis. Et pour le coup je me suis laissé influencé par un bandeau de l'éditeur indiquant que l'auteur avait obtenu un quelconque prix, chose que je ne ferai jamais pour la littérature classique, ayant peu de confiance dans les prix.. Reste que c'est un indicateur comme un autre quand on aborde un continent inconnu..

Le spin c'est une membrane qui apparaît entre la Terre et le reste de l'univers un soir d'été, alors que les héros du livre ne sont encore que des adolescents. Ils sont trois : le narrateur Tyler Dupree et les jumeaux Diane et jason Lawton. Le trio est lié car le père de l'un et des autres étaient eux mêmes amis, avant que l'un d'eux ne meure.
Mais revenons au Spin une sorte de membrame posée là par des hypothétiques (une forme d'intelligence supérieure) et qui a pour particularité de décaler la vitesse d'écoulement du temps sur terre et dans le reste de l'univers. Alors que le temps continue de passer comme aujourd'hui sur la Terre, sa vitesse s'accroît formidablement dans le reste de l'univers, de sorte que la fin du soleil qui est prévu dans quelques milliards d'années en temps terrestre, devient une perspective prévisible dans une vie d'homme (je ne sais pas si je suis clair).. En résumé, si rien n'est fait, la fin du monde est proche !
Sauf que Jason un brillant scientifique soutenu par son père, un homme apparament sans affect avide de pouvoir, vont créer une agence spatiale qui compte profiter du décalage temporel pour produire une vie humaine sur mars... la suite...

Disons le net : j'ai retrouvé un plaisir enfantin devant cette histoire formidablement construite et racontée. Wilson n'est peut être pas le plus grand styliste du monde, il y a des redites parfois pénibles (un lecteur se souvient de ce qu'on lui a dit trois pages plus tôt non ? ) et la fin être un peu trop longue à mon goût, c'est le bonheur des livres d'aventures que l'on retrouve ici. Et des meilleurs. Car en parlant de ce futur proche où le Spin est menaçant, c'est d'un monde assez proche du nôtre dont il est question (le futur décrit dans le livre n'est pas fondamentalement différent du nôtre). Mieux encore, plus que l'intrigue de SF proprement dite, le roman est passionnant par les relations qu'il tisse entre les personnages et ce sur deux générations.
L'étrange lien entre le narrateur et Jason ou entre Jason et son père (encore un fils qui veut prendre la place du père.. allo Oedipe ?) sont le vrai moteur du livre.. C'est un très bon roman psychologique, avec même une histoire d'amour qui en cache une autre. Juste un exemple, au cours du récit Jason est atteint d'une maladie incurable qui menace sa vie. POur le scientifique qui veut comprendre ce qui se passe, la perspective de mourir (alors que c'est le destin de l'ensemble de la Terre) devient insupportable, le renvoyant à la condition humaine. Et sans dire un mot de plus, le récit de sa très extra ordinaire agonie est très réussie. L'homme de sciences mourant en sachant tout ce qu'il a toujours voulu savoir..
Construit en alternant un récit au temps présent, où le narrateur en fuite a des problèmes de santé et prépare son évasion avec la jumelle Diane, et un autre au passé à l'époque où le Spin est arrivé, la progression de l'intrigue est parfaite, les élémens du présent et du passé s'éclairant mutuellement.
Dernier point : le livre est aussi une méditation sur la conduite des hommes face à un danger plus grand qu'un. les deux jumeaux incarnent les deux réponses possibles : quand Jason choisit la science et l'envie de comprendre, sa soeur se réfugie dans de nouveaux cultes qui voient dans la fin annoncée des temps la réalisation des promesses messianiques. L'auteur choisit son camp, en faveur de la Science..
et puis il faudrait parler d'un personnage étrange qui apparaît à mi roman, mais ce serait vous révéler une information qui réduirait votre plaisir de lecture.
Brassant de nombreux thèmes, sans trop utiliser de jargons, Spin est le meilleur divertissement que je conçois pour un été.

La cité sans murailles Tobias Hill Ed Rivages


De Tobias Hill, j'avais lu le premier roman le cryptographe qui m'avait valu la peine de l'interviewer, honneur d'autant plus grand que c'était le premier écrivain que j'interrogeais (si on excepte un portrait jamais paru de Pascal Morin, mais c'est une autre histoire).
Je voulais donc lire son second roman dès qu' il a paru, et puis le temps tout ça... et c'est plus d'un an après sa sortie que je publie ce billet. On retrouve d'emblée tout ce qui j'avais aimé le premier : son goût du détail, son style très précis, son sens de la nature. Tobias Hill c'est d'abord un ton, la capacité à créer une atmosphère, en l'espèce inquiétante, quand le cryptographe était plutôt dans la nostalgie. L'histoire ? Celle d'un jeune archéologue britannique qui quitte tout pour partir en Grèce, le pays qu'il a étudié, où il échoue dans un restaurant de la banlieue d'Athènes. Ben Mercer (c'est son nom) y rencontre bientôt une figure de sa vie d'avant, un camarade d'Oxford venu en Grèce pour des fouilles à Sparte avec une bande cosmopolite et improbable. POurtant, ce groupe paraît soudé et Ben fasciné par la cité sans murailles (Sparte) rejoint le groupe où il peine à faire sa place...
Peu à peu, pourtant, il découvre que l'archéologie n'est pas le seul ciment des uns et des autres.

Sur un canevas de film à spectacle que pourrait faire Hollywood, Tobias Hill écrit un livre à la façon de Rosselini, prenant son temps, pour installer l'intrigue et les personnages, notamment celui du narrateur, aussi looser que le héros du cryptographe était l'incarnation de l'homme à qui tout réussi.
Ben Mercer étant un spécialiste de Sparte, le texte alterne chapitres au présent et thèse sur la cité spartiate, notamment sur ses mystéres (la puissante cité ayant finalement laissé peu de traces de son passé). Outre le plaisir d'une intrigue fascinante, le livre permet à tous ceux qui comme moi ne connaissent pas l'histoire greque d'apprendre... Sans oublier les étonnantes correspondances entre les époques...

dimanche 6 juin 2010

L'autre jardin Francis Wyndham



photo PB

Court roman ou longue nouvelle (à peine plus de 100 pages), l'autre jardin est le portrait de Kay Desmaret, la fille aînée d'un voisin du narrateur. Kay est un peu plus âgée que lui, de sorte qu'on sent bien que si amour il y a, il n'est pas vraiment possible. C'est donc un portrait amical qui est dressé au fil des pages, un très joli portrait. Le récit commence dans les années 30 et se termine après la seconde guerre mondiale qui joue un rôle dans l'évolution des personnages, ne seraient ce parce que les jeunes hommes sont mobilisés.
Le talent de Wyndham est de faire le portrait de Kay sans jamais s'attarder sur elle. Un des chapitres narre une réunion avec les dames de la bonne société locale, qui par contraste éclaire les motivations de Kay, une jeune femme trop libre pour son époque, mais pas assez pour échapper à son destin. Car Kate est prisonnière de parents avec lesquels elle entretient une relation "complexe". Malheureuse parmi eux, elle ne peut pourtant se résoudre à partir, jusqu'au jour où lors d'une querelle domestique l'obligera à fuire, l'amour de Kay pour un chien étant plus fort que sa vie même.
Denis, un ami du narrateur écrit à propos de Kay : "même lorsque nous échangeons à peine deux mots, elle est d'une compagnie très agréable -...- Il y a quelque chose de tragique chez elle, je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi peu sûr de soi." Tout est dit d'un personnage inoubliable au charme fort qui, on le comprend a pû marquer le narrateur, encore jeune homme. Le toujours pertinent Benjamin Berton évoque dans sa critique de fluctuat.net une cousine de Blanche du tramway nommé désir. Kay me rappelle de façon inexplicable une sorte de cousine de l'héroîne de breakfast at compagny.
Attention, petit chef d'oeuvre !

Editions Christian Bourgois

L'imposteur Damon Galgut


Adam perd son emploi alors il demande à son frère les clés d'une ruine qu'il possède dans une région désertique de l'Afrique du Sud. Il y croise un dénommé Caning, qui se présente comme un ami de pensionnat, et qu'Adam a visiblement oublié, et pour cause, tant Caning est présenté comme une sorte de Monsieur Tout le Monde. Sauf qu'en l'espèce MOnsieur TOut le monde a hérité d'un père haï un domaine, avec la fortune qui va avec et qu'il a épousé, les temps changent, une sublime femme noire. Mais Adam n'a visiblement pas lu les 10 commandements et ignore que "tu ne convoiteras pas la femme d'autrui".
Adam ayant des vélléités poétiques, il est venu aussi taquiner la muse, comme on dit, tandis qu'il a pour voisin un homme étrange qui l'observe, travaille dur dans son potager et réalise quand le soir vient des sortes d'oeuvres d'art naÏf.

Rarement j'ai été aussi partagé sur un livre : pour tout dire, il me semble trop parfait, tout s'emboite trop bien, chaque geste semble étudié, réfléchi et je repense à cette citation qu'aurait faite françois truffaut (c'est sylvain qui me l'a dit), "les grands films respirent grâce à leur défaut". Or là de défauts il n'y en a point à mon sens.
Et l'instant d'après je me reprends : peut on reprocher à un livre d'être trop réussi ? car derrière cette histoire ce que Damon Galgut dresse c'est u portrait de l'Afrique du Sud moderne, où après l'apartheid tout n'est pas parfait, loin de là. Tout le monde est imposteur dans ce roman, où le passé est pour tous une source de tourment. Pour l'un parce qu'elle le renvoie à son père honni. C'est peut être cette partie là qui est la plus réussi : Galgut invente d'intéressantes variations sur l'impossible relation entre père et fils. Là où le père voulait faire un zoo, conservatoire de l'Afrique première, le fils noue de troubles relations avec le nouveau pouvoir pour établir un golf de luxe. "je m'endors heureux, chaque soir, en pensant à la façon dont je vais démanteler son rêve". Car le paternel était un sud africain d'avant, un homme pour qui la sépération raciale allait de soi, mais capable aussi d'apprendre la langue de ses domestiques noirs.. mais qui ne supporterait pas de voir son fils marié à une femme noire. On retrouve là toute les nuances qu'on trouve dnas les grands romans sudistes des écrivains nord américains, je pense notamment à Lousiane de Louis Bromfield.. mais c'est une autre histoire
Sans parler du rapport trouble entre le narrateur et ce Canning..
Alors, suis je un enfant gâté qui métite un coup de pied aux fesses pour faire la fine bouche devant cet ouvrage ? Ou bien l'imposteur en dépit de ces incontestables qualités et du portait contrasté qu'il fait de l'Afrique du Sud mérite-t-il mes réserves ?

Détail étonnant, alors que j'écris ces lignes, j'entends sur radio classique la crititque d'un roman sud africain....


Editions de l'Olivier

Ce qui était perdu, Catherine O'Flynn


Un roman recommandé par Jonhattan Coe, l'auteur inégalé de Testament à l'anglaise et du Cercle fermé ? Vite je fonce d'autant qu'il est publié par Jacqueline Chambon, une vraie éditrice comme je les aime (à cet égard il faut lire à tout prix Le cercle de feu de Hans Lebert, un auteur qui a influencé le prix Nobel Jelinek). Mais revenon à Ce qui était perdu.
Kate est une pré-adolescente qui se prend pour un détective. Le livre commence par le récit de ces aventures dans ce que j'imagine être une ville moyenne de Grande Bretagne (en relisant je découvre que l'histoire se passe à Birmingham). Son grand plaisir ? Elle suit les gens, établit des rondes et aime traîner dans un méga centre commercial tout nouveau, tout neuf, avec sa peluche dans son sac.. voilà pour la première partie
Vingt ans plus tard, le même centre commercial a gagné une extension et ce que Souchon appellerait une foule sentimentale va et vient. D'autres y travaillent comme Kurt, agent de sécurité, ou Lisa, manager comme on dit maintenant dans une grande surface culturelle. L'un et l'autre vont se rencontrer et découvrir qu'ils sont liés à la disparition de la petite Kate car la petite fille disparaît.

Tout de suite, on voit ce qui a pû plaire à Jonhattan Coe dans un tel livre : une construction maîtrisée de bout en bout et qui a du sens. Car si l'auteur fait le choix de portraits fragmentés, c'est qu'elle montre l'ultra moderne solitude, toujours Souchon, telle qu'elle est. Des gens qui se côtoient et se croisent. Le héros du livre est le centre commercial qui incarne peut être mieux que tout le changement d'époque, qui est le symbole de "ce qui est perdu".
Mais là où un (mauvais) romancier produit un texte expérimental plus ou moins réussi (car les auteurs en France produisent des textes, ils n'écrivent pas) Catherine O'Flynn conserve tout ce qui fait le plaisir de la fiction : des personnages, une histoire, et, même un suspense. C'est un émouvant portrait de la middle class que dresse l'écrivain, entre rêves et consumérisme, entre besoin d'amour et solitude pathologique. Le plus réussi de ce livre est peut être son ouverture avec le récit de la vie de la jeune Kate, qui pourrait être très misérabiliste, façon écrivain engagé, et qui a quelque chose de la fraicheur de l'enfance, cet âge où tout ce qui est autour semble donné. Je ne crois avoir jamais rien lu qui restitue de façon aussi juste la voix intérieure d'un enfant.
Un seul bémol : la fin est peut être un peu trop mélodramatique. POur le récit il fallait sûrement que l'irrémédiable se produise, mais le suicide d'un personnage dans le parking du centre commercial est la seule faute de ce roman que comme Jonhattan Coe, je n'ai malheureusement pas son talent, alors je partage ses avis, que je vous recommande


Editions Jacqueline Chambon

samedi 15 mai 2010

Olivier Jacquemond New York Fantasy



On ne peut pas imaginer plus opposé au roman précédent que cette fantaisie new yorkaise, où un jeune Français quitte la France pour voir le rêve américain. Etudiant en philosophie, le narrateur peut développer son analyse de la ville phare des Etats-Unis, "lieu où les gens venaient non pas afin de vivre ou de concrétiser leur rêves mais plutôt pour s'inventer les rêves qu'ils n'avaient pas". Dans la ville où le temps ne s'arrête jamais, la nostalgie est toujours déjà là, car là plus qu'aiileurs, rien ne dure jamais... à tel point que certains êtres n'arrivent plus à .. être justement.

En une petite centaine de pages Olivier Jacquemond fait de son "héros"étudiant un barman qui change de prénom et fait quelques rencontres. A commencer par le personnage de Mick ancien critique de rock, ayant fréquenté les héros du new york des années 60 70 devenu écrivain et client du bar de nuit. Il y a chez lui quelque chose d'un Méphistosphélès bienveillant, une sorte de diable qui voudrait vraiment le Bien de Tom, capable de voir derrière les apparences d'un barman bien sous tous rapports un être de félures.

New York Fantasy est plus une nouvelle qu'un roman, peut être une sorte de poème en prose tant le style de Jacquemond frappe : "je me mis régulièrement, à partir de cette époque, à trembler, c'était bien le signe qu'un fantôme m'avait frôlé" note le narrateur. C'est aussi un roman car peu à peu l'intrigue se développe et ce jeune homme qui écoute avec Mick Leonard Cohen comprendra bientôt le lien secret qu'il entretient, par delà les générations, avec New York.

Certains opposeront le roman de Bramly à celui-là, le premier racontant le monde quand le second peut sembler plus centré sur l'intime du narrateur. J'aime pour ma part autant l'un que l'autre et la richesse d'une littérature est de pouvoir proposer aussi bien l'un que l'autre, sans oublier que Jacquemond publie ici sa première fiction quand Bramly est déjà un vieux routier. Enfin, cela rappelle surtout l'artifice de la distinction entre fiction de soi et récit picaresque. en 120 pages écrites à la première personne, Olivier Jacquemont raconte aussi son époque, ses rêves et même ceux de la génération d'avant.. L'intime est toujours une histoire collective.

Le premier principe, le second principe Serge Bramly, Le livre de poche



Sur le thème éternel des apparences et du réel, Serge Bramly a réussi avec le premier principe, le second principe (titre un peu pompeux emprunté à la thermodynamique, sans grand intérêt ici) un bon roman d'espionnage. 700 pages difficiles à résumer de peur de déflorer le plaisir du (futur) lecteur. C'est la rencontre fortuite sous le pont de l'Alma d'une princesse d'un paparazi et des services secrets, sur fond de ventes d'armes à l'Iran sous les septennats d'un président de la république socialiste.
Le grand talent de Bramly provient de sa manière d'utiliser les images dont nous sommes rassasiés pour nourrir son intrigue. Ainsi tout commence par le récit d'une jeune femme accidentée de la route, un récit d'une soixantaine de pages, d'abord très intrigant, puis peu à peu le lecteur croît reconnaître la situation, jusqu'au moment où il recolle cette histoire avec l'Histoire.
Déjà, Bramly est revenu en arrière, à un mariage princier quelques années plus tôt, à un événement planétaire en mondiovision, auxquels assitent forcément, tous les protagonistes de son livre, aussi bien Max le photographe que l'agent qu'on appelait dominique, Monsieur Joyeux un trafiquant d'armes et les frères Azzam, sans oublier l'étrange narrateur et un membre du cabinet d'un jeune ministre socialiste prometteur...
Tout est dit dès ce moment. Derrière les images officielles d'un bonheur mis en scène, tout le monde sait maintenant que la vérité était tout autre. La mariée était d'autant plus belle que le glamour du conte de fée était factice. Pour Bramly, l'Histoire obéit à cette règle invariable. Plus nous voyons des images, moins nous savons.. La société du spectacle est une société du mensonge permanent. Nous vivons dans un décor d'opérette, tandis qu'ailleurs se nouent des alliances aux conséquences autrement plus tragiques qu'une mésalliance, fût-elle royale.
Roman d'espionage certes, mais aussi analyse de caractère. Il ne faut pas s'attendre en lisant ce roman à voir des camions exploser, assister à des tueries toutes les trois pages façon grand spectacle hollywoodien. Chez Bramly, la cruauté est écoeurante et éprouvante pour le lecteur : le récit d'une vengeance africaine et d'un règlement de comptes sur fond de guerre yougoslave sont d'un naturalisme frissonnant loin de toutes les esthétisations de la violence guerrière que le cinéma nous offre. Plus subtilement, le livre raconte un monde finalement très plat. Au fil des 700 pages, le suspense est ténu, Bramly s'attachant surtout à nous narrer comment les personnages finissent par arriver là.. sous un tunnel où ils n'auraient pourtant jamais dû se trouver. Encore une fois, sans rien dévoiler, le retournement final est excellent, et le personnage de l'espion sinologue qui mène la troisième partie de l'intrigue est un personnage véritablement attachant.
Ce n'est pas un turning page à l'anglo saxonne, c'est bien plus que ça : un vrai roman avec des personnages. Toutes ressemblances avec des personnages....

A propos de la photo : sur les lieux du mur de berlin, monument comémorant la mort du premier habitant de l'est ayant voulu passé à l'ouest clandestinement.
Photo modifiée : une boite à biscuit commémorant un mariage princier...

dimanche 25 avril 2010

Cour Nord Antoine Choplin


Cour Nord n'est pas à proprement parler un roman. C'est un récit d'une centaine de pages. Il évoque la grève et la fermeture d'une usine dans le Nord de la France. Et la passion pour le jazz d'un quatuor de copains. Dans l'usine travaillent un père et son fils, Leopold, le narrateur, qui est aussi le trompettiste. Voilà pour le lien entre les deux brins de fiction qu'Antoine Choplin entremêle avec un grand talent.

Le père, ouvrier syndicaliste qui ira jusqu'au bout de son refus, et le fils, passionné de musique et, pour reprendre une formule de Desproges plus dégagé qu'engagé, ne s'opposent pas vraiment. Ils vivent plutôt côte à côte. On sent comme une sorte d'équilibre précaire entre les deux hommes, qui donnent l'image d'une cohabitation sur fond d'incompréhension mutuelle mais aussi d'un grand respect de l'un pour l'autre.
Mais si la relation filiale est la trame du récit, Cour Nord n'est pas un texte qui repose sur la psychologie. C'est un livre très rare, qui ne tient que par le style et qui, pourtant, est tout sauf un exercice de style. Car Antoine Choplin n'a pas besoin de grands effets pour faire ressentir les flux de sentiments. En peu de mots, il impose un univers, sans fioritures excessives. Tout ce que les personnages ne disent pas est pourtant là, à fleur de page, à fleur de peau...
Ne connaissant pas grand chose à la musique de jazz, je ne saurai dire s'il existe un lien entre cette musique et le style. J'ai bien noté que la construction du récit repose sur des variations sur le thème, le propre du jazz. Cour Nord déploie une énergie proche de certains morceaux, à commencer par ceux de Chet Baker, sombre et limpide, à la tristesse claire.
Cour Nord désigne une partie de l'usine mais aussi un morceau de jazz. Car le temps du récit, Léopold créera sa première oeuvre, tandis que son père livrera son dernier combat.
Cour Nord vaut aussi pour ses personnages secondaires, les amis musiciens, dont le pianiste amoureux des plis.. ou la micro société de l'usine, d'Ahmed à la fille du café qui rêve d'ouvrir un magasin d'oiseau.
C'est tout cela qu'arrive à faire tenir en une centaine de pages Antoine Choplin, et bien plus dans ce récit irrigué de sentiment. Antoine Choplin ne prend à aucun moment la place du justicier qui règlerait des comptes. Il sait que le plus important est de tenir la note juste. Chapeau!

Christophe Bys

Ici, on peut écouter Chet Baker chanter My funny valentine http://www.youtube.com/watch?v=jvXywhJpOKs

Série Z J.M. Erre



Voilà un livre que j'ai acheté un peu par hasard en traînant dans un grand magasin de biens culturels de la Défense... Sûr que je ne l'aurai pas lu, si je ne l'avais pas vu sur un étal.. comme quoi rien ne remplace un bon vieux libraire..

Félix Zac est un looser comme les romans les aiment. Un perdant qui a une passion : les séries Z, il tient même un blog sur le sujet et a écrit un scénario se déroulant dans une maison de retraite d'acteurs ayant tourné jadis dans des nanards, sauf qu'un jour, comme on dit, la fiction dépasse la réalité, et que la série de meurtre que raconte le dit scénario ont vraiment lieu. A partir de là, tout s'enchaîne, mêlant quiproquo et humour. Car ce scénario a été acheté par un boucher qui veut surveiller les vélléités cinématographiques de son fils. Ajouter à cela une copine écolo bobo, une soeur castatrice, une mère .. maternelle et une flopée d'acteurs centenaires, dont un couple d'érotomanes, pratiquant l'amour à l'heure du déambulateur et vous aurez une idée de ce qu'est ce livre : loufoque et inventif.

Il doit être très difficile de réussir un roman intéressant en parodiant avec amour le monde des séries Z. J.M. Erre y réussit. Si son humour est parfois trop lourd ( par exemple, le fils d'un inspecteur de policier stupide et boulimique donne lieu à une série de gags aussi rassasiants qu'un cassoulet). A cette réserve près, série Z est un excellent divertissement. et l'auteur possède un sens remarquable de la construction. En effet, le récit progresse en mélangeant plusieurs textes :
- le récit proprement dit
- le blog du héros
- le scénario du film gore
- le petit carnet où le héros a noté qui il était, car étant angoissé, il a préparé ce vade mecum au cas où il deviendrait amnésique
- les notes de l'inspecteur
...
Passant sans cesse de l'un à l'autre, le récit reste d'une grande simplicité à comprendre.
Si j'étais psy, je conseillerai à l'auteur pourquoi les relations parents enfants sont aussi compliquées dans son livre. entre le héros et sa mère, entre l'inspecteur et son fils, ou encore entre le boucher producteur et son rejeton, les rapports sont plus que difficiles. Série Z est vraiment un très bon divertissement qui se dévore sans faim.


Buchet Chastel 20 euros

La voie de Bro Vladimir Sorokine


Un roman russe de science fiction c'est un univers en soi, un objet particulier dont je ne suis pas sûr de détenir toutes les clés pour ne pas énoncer de grosses bêtises. Tant pis, prenons des risques. Mieux vaut paraître idiot en parlant qu'être intelligent et silencieux..

Au commencement était Sneguirov, le fils d'un industriel à l'époque de la Russie présoviétique.Né le jour où une comète s'est écrasé en plein milieu de la Sibérie, il grandit sans problèmes au sein d'une famille bourgeoise jusqu'au jour où survient la Révolution, qui l'arrachera aux siens.. pour mieux les retrouver. oui vous avez bien lu, il échappe aux siens pour les retrouver.. Mais il y a une subtilité ceux que Bro - car il a changé de nom entre-temps - retrouvent une fois sa famille initiale sont sa vraie famille, ceux qu'il appelle ses frères et ses soeurs, 40 000 êtres issu d'un rayon de lumière qui se sont fracassés sur la terre, la chute de la fameuse comète..
A partir de cette renaissance Bro n'aura de cesse que de retrouver cette fratrie extra terrestre, qui n'ont rien de petits hommes verts, mais qui sommes comme vous et moi, si ce n'est qu'ils peuvent parler avec leur corps, sans utiliser le langage parlé des simples hommes. Pour les éveiller à leur être profond, Bro et la petite dizaine qu'il réunit autour de lui, doivent planter un marteau de glace dans le coeur des uns et des autres. Reste que l'action se déroule dans la Russie soviétique où la police secrète est impitoyable.

Drôle de livre. Drôle de livres devrais je plutôt écrire, car il s'agit de plusieurs romans en un. Le premier assez classique narre l'enfance du héros, on pense à tchekov ou à tolstoi, les grands maîtres du roman russe..
Pour découvrir sa vraie nature, Bro emprunte une expédition scientifique, et là commence le deuxième roman, un roman d'aventures à la conquête de l'est pour rejoindre la sibérie et la fameuse comète. Troisième roman : la révélation faite à Bro et la réunion des premiers membres. C'est le point faible du livre, les rencontres sont très répétitives. Si Sorokine a voulu montrer l'importance du rite, son côté répétitif, c'est réussi mais c'est au prix d'une impression de surplace qui nuit à la dynamique du roman. Enfin, le dernier roman raconte la fin de la vie de Bro et sa révélation de ce qu'est la vie sur terre, Bro atteignant l'essence des "machines de chair" au-delà des apparences. C'est la partie la plus politiqueet peut être la plus réussie, car Sorokine raconte l'histoire de l'horreur totalitaire en URSS et en Allemagne au 20e siècle. Des pages très fortes..

Je suis toujours fasciné quand un écrivain réussit à faire passer l'histoire la moins réaliste dans un roman. Tel est le cas de Sorokine. En lisant La voie de Bro, je me suis plusieurs fois demandé si finalement le narrateur n'était pas une sorte de chef de secte. Renseignements pris, j'ai découvert que la voie de Bro était le second tome d'une trilogie commencé avec la glace, qui raconte l'histoire d'une secte. C'est aussi une des réussites de ce livre que de suggérer cette interprétation sans jamais l'imposer. Ah s'il n'y avait pas ce tunnel du milieu, ce livre m'aurait ravi..



Editions de l'olivier 23 euros

dimanche 28 mars 2010

L'horizon Patrick Modiano




Depuis qu'une prof de français a eu la bonne idée de me faire lire rue des boutiques obscures de Modiano en classe seconde, j'ai toujours suivi de près cet auteur qui est un des rares contemporains dont j'ai sinon tout lu, pratiquement tout lu.
Les amateurs y retrouveront tout ce qu'ils aiment chez Modiano. Pour tout dire, au début cela m'a énervé. Chez Modiano, les carnets sont forcément en moleskine ( on doit lire au moins 4 fois ce mot dans ce livre là), les canapés en skaï et les chemisiers en rayone. Il n'empêche qu'une fois passé ces réticences, la magie opère toujours.
Première nouveauté : Internet. Depuis rue des boutiques obscures, les héros modianesques passaient leur vie dans des bottins à rechercher des traces, des souvenirs de personnages croisés dans le passé. Désormais, le narrateur peut utiliser Internet pour accomplir ses tâches, mais cela ne change rien au rythme de sa recherche. Nouvelles techonologies ou pas, le temps de modiano est celui de la mémoire, des concordances et des correspondances, des échos du temps passé, avec cette question obsédante : que reste-t-il de ce que nous avons vécu ? Quelle trace laisse un individu ?

Ici le narrateur se remémore un épisode de son passé, une jeune femme croisée et aimée Margaret Le Coz, une bretonne née à Berlin, venue à Paris en passant par Genève, fuyant un homme qui la poursuit pour d'obscures raisons. Tout le génie de Modiano est qu'à mesure qu'on progresse dans l'intrigue, qu'on croît mieux comprendre les personnages, le mystère s'épaissit. S'il éclaire davantage un point, c'est pour plonger encore plus le reste de la scène dans l'ombre. Que sait-on au départ de Margaret ? Pas grand chose. Et à la fin du livre ? Guère plus. Les motivations du narrateur resteront tout aussi clair-obscures. Qui est ce jeune homme qui travaille dans une librairie où il n'y a plus de clients, sauf un étrange médecin qui a appartenu à la rue Bleue, et poursuivi lui aussi dans la rue par un drôle de couple composé d'une femme qui se dit être sa mère et d'un prètre défroqué ? Un passage résume tout Modiano : « D'ailleurs était-ce vraiment elle ? Mieux valait ne pas en savoir plus. Au moins avec le doute, il reste encore une forme d'espoir, une ligne de fuite vers l'horizon ». L'ignorance comme moyen de continuer à pouvoir vivre. Le mystère Modiano c'est aussi cette capacité à faire du flou en utilisant un langage des plus précis et les moins ambigus. Du très grand art.
Après les premières pages qui m'ont agacées (le côté Moleskine du livre, Modiano fait un magnifique portrait de femme, celui de Margaret Le Coz, une petite soeur Des inconnues, un receuil de nouvelles qu'il avait écrit et qui réunissait trois portraits de femme. Il sait mieux que personne peindre ses femmes emprisonnées par leur destin. Volant être libre, mais n'y réussissant pas tout à fait, comme s'il existait une corde de rappel leur interdisant de prendre complètement leur envol. Margaret Le Coz est de celle-là.
Reste que sans rien révéler du dénouement, ce Modiano là tranche. S'il part d'une introspection du passé, il n'interdit pas le présent d'être peut-être, alors que jusqu'à maintenant, le passé dans les romans de Modiano était toujours fini et ne laissait aucun espoir pour aujourd'hui..

Christophe Bys


Gallimard 16,50 euros

Sainte famille, Jean Forton


Photos PB

C'est sûrement un des plus vieux livres de la rentrée littérature de janvier 2010. Sainte famille est, en effet, un inédit de Jean Forton, qui aurait été écrit si on en croit la quatrième de couverture, dans les années 60.
Bienvenue chez les Malinier, une famille bourgeoise, des cousins lointains des Le Quesnoy, le côté 60ies de la province française, comme on disait alors, en plus. Lui travaille dans l'import export, plus par devoir que par passion. Il a tout du fils de famille qui a hérité d'une situation qu'il liquidera, la modernisation de la France alors en route, n'ayant que faire de ses dilettantes. Sa passion c'est le piano. Chaque matin, il écoute religieusement ses 33 tours avant de partir de travailler, un hobby qui trahit comme un sentiment d'inaccomplissement. Madame Molinier est de ses femmes de sacrifice, qui économise sou après sou pour que la maison soit bien tenue. Pas le genre à aller chez les coiffeurs, ça fait vulgaire et ça coûte affreusement cher ! Quant au trio d'enfants, chacun cherche sa place : l'aîné ambitieux et tête à claques, le puiné mal dans sa peau et sensible, et la benjamine aux sens en éveil.
Sadique, l'auteur introduit dans ce petit milieu Stéphane, une sorte de tartuffe moderne, vivant de la crédulité des uns et des autres et séducteur. J'ai vu sur une table de libraire un bandeau rédigé à la main « Théorème dans la bourgeoisie française. Réjouissant ». C'est assez bien vu, si ce n'est qu'on est très très loin de Pasolini et donc de Théorème. La référence ce serait plutôt Feydeau, tant le livre évoque surtout le théâtre de boulevard avec cet hypocrite vivant aux crochets des autres, jetant son dévolu sur cette famille, espérant soutirer quelque argent pour accomplir enfin son grand projet, une sorte de christianisme revisité. Car Stéphane est à la fois un séducteur sans foi ni loi, un prêcheur capable d'expliquer que la femme doit être séduisante pour plaire à son mari. La fin du livre est à cet égard déroutante, jetant un regard tout autre sur les personnages et leurs motivations, mais nous n'en dirons rien.
Jean Forton mérite en tout cas d'être relu. Il écrit avec finesse. Si les ressorts dans l'intrigue sont parfois grossiers – l'auteur emploie quelques grosses ficelles à deux ou trois reprises pour faire avancer le récit, son art de la description est à l'exact opposé. Délicatesse, justesse et compréhension intime de l'ambiguité de tous les êtres. C'est délicieux comme une comédie française des années 60, avec, comme à l'époque, un sens des seconds rôles : de la fiancé de Luc, le second fils des Malinier, aux employées de Monsieur Malinier, une vieille fille revêche et une sorte de boulimique stupide. Rien dans ce livre n'est pourtant caricatural. La découverte de janvier 2010


Christophe Bys


Finitude 17 euros

L'intrusion Adam Haslett



photo : PB

Adam Haslett a publié un formidable recueil de nouvelles aux éditions de l'Olivier il y a quelques années : Vous n'êtes pas seul ici. Aujourd'hui, Gallimard publie son premier roman, qui pourrait reprendre le titre des nouvelles, tant on y retrouve tout ce qu'on avait aimé précédemment.
C'est le roman qu'on attendait et qui arrive enfin, celui qui raconte les Etats-Unis des années 1990 2000, qui commence dans la guerre du Golfe et s'achève dans le conflit irakien, deux points qui constituent le début et la fin du livre.
Entre les deux, on trouve l'histoire de trois personnages principaux : Doug Fanning, ex marines devenu numéro 2 d'une des banques les plus en vues de wall street, qui couvre un trader menant des opérations spéculatives pour le moins hasardeuse en Asie. Pour signer sa richesse, Doug se fait construire une maison mitoyenne à celle de Charlotte Graves l'héritière un peu dérangée d'une famille de praticiens locaux. Doug ayant construit sa maison sur un terrain que les ancêtres de Charlotte ont légué à la ville, ces deux-là vont entrer dans une forme de guerre interne où tous les coups sont permis, chacun défendant finalement sa vision de l'Amérique. Fidélité aux valeurs d'hier contre triomphe de l'argent. Entre eux-deux, navigue Nate un jeune lycéen, orphelin de père, tout droit sorti d'un film de Gus Van Sant. En situation d'échec scolaire, il vient prendre des cours chez Charlotte, et rencontre Doug, l'adolescent étant attiré par cette étrange domicile aux allures de petit palais mais à l'intérieur vide.

C'est un livre difficile à résumer en quelques mots. Il raconte la vague folle de spéculation du début des années 2000, jusqu'à l'excès. Il décrit à la fois par le menu le fonctionnement du système financier américain, comment les traders malhonnêtes fraudent (certains passages sont à la limite de l'indigeste), et même la préparation d'un plan de sauvetage du système financier. Une histoire qui rencontre quelques échos contemporains. Puis il passe au chapitre suivant au drôle de dialogue qu'entretient Charlotte Graves avec ses deux chiens. Ou à la vie d'une bande adolescents, gosses de riches désoeuvrés qui testent les drogues comme d'autres changent les posters de leurs chambres.
Plus fondamentalement, c'est un livre brillant sur les Etats-Unis d'aujourd'hui. A le lire, il n'y a plus que les états qui soient unis, car les citoyens qui composent le pays sont, eux, plus désunis que jamais. Incapables de dialoguer, ils vivent les uns à côtés des autres sans plus chercher à se comprendre, ni même à co-exister. L'intrusion du titre est celle du voisin forcément illégitime. Dans un tel monde, nous dit Haslett, il ne reste que deux moyens de créer du lien : l'argent dont la circulation assure le fonctionnement du système et le Droit ou la Justice, lieu de règlement de tous les conflits, entre deux voisins ou entre deux Etats. Même la sexualité n'arrive plus à unir, comme en témoigne les scènes de sexe entre deux des protagonistes.
Pourtant, tous les personnages (aux trois principaux, il faut ajouter le frère de Charlotte, le patron de Doug, sa secrétaire ou les amis de Nate, tous remarquablement traités, et créant autant d'intrigues secondaires) partagent la même profonde tristesse, la même mélancolie. Charlotte comme Doug sont quoiqu'ils fassent deux enfants perdus dans le monde des adultes et il est prévisible que Nate suivra le même chemin, même si Haslett laisse entrevoir un avenir un peu plus radieux pour lui.. Au fond, Charlotte n'a jamais voulu panser ses douleurs, elle vit dans la remémoration permanente d'un échec amoureux, d'un amour qui n'a pas pu sauver celui qui en était l'objet. Doug, le marines, a appris à tout encaisser, c'est un être sans émotion, ni sentiments. Tout, chez lui, est sous contrôle, au point de ne pouvoir vivre qu'au milieu de fantômes.
Une des scènes les plus déchirantes est à la fin du livre. Doug retourne voir sa mère, qu'il avait quitté pour s'engager dans les Marines. Son enfance a été bouleversée par cette femme alcoolique et on se doute qu'un des moteurs de sa réussite sociale a été la volonté d'épater cette femme qu'il a trop vu souffrir. Au moment, où il frappe à sa porte, une surprise de taille l'attend, résumant toute la vanité des motivations humaines. Doug s'est trompé, Charlotte aussi. Non, « vous n'êtes pas seuls ici ». encore faudrait-il que vous vous donniez la peine de vous parler. Le roman d'Haslett réussit à être à la fois un grand roman balzacien sur les Etats Unis d'aujourd'hui tout en étant en permanence dans l'intimité de ses personnages. Eblouissant et bouleversant !

Christophe Bys


Gallimard 21 euros

dimanche 21 mars 2010

La paresse et l'oubli David Rochefort



Ce sont les jambes de marylin monroe..

Pour un premier roman, c'est une réussite. A tel point qu'on se demande si ce n'est pas un de ses canulars comme l'édition les aime, un auteur confirmé qui tenterait une remise en cause en publiant sous pseudonyme. J'ai vu des photos de David Rochefort, et rien ne laisse penser que ce pourrait être Philippe Sollers avec des postiches.

Bienvenue au lycée Saint-James de Neuilly, où Ratel, l'anti-héros et deux de ses camarades, aussi anti-héros que lui, Joris et Dimitri, terminent leurs études secondaires, à l'âge des possibles, le meilleur comme le pire. Ces trois-là seront rassemblées par leur goût pour le hard rock. Le lecteur au fait des moeurs neuilléennes l'aura compris : le roman ne se situe pas du côté bling bling de la capitale des Hauts-de-Seine.
La littérature est une affaire de style, tout le monde le sait. Rochefort le prouve. Des parents de Joris , il écrit : ce sont « d'honnêtes cadres sans intérêt : de braves catholiques qui ont mauvaise haleine ». Fermez le ban tout est dit.
Un peu plus loin, : « Le visage de Dimitri est rond, franc, sans mensonges. Quand il rit, tous ses traits s'animent ; il mange comme huit mineurs polonais, et déteste être interrompu pendant son bâfrage. Une âme d'enfant dans un corps de géant ». Voilà pour l'arrivée du troisième larron de l'histoire. Rythme et précision sont les deux grandes qualités du style de David Rochefort. Ce n'est pas parce que le roman parle de trois jeunes que le style joue à imiter un parler jeune souvent pathétique en littérature.

Autant le dire d'emblée, la paresse et l'oubli est ce qu'il m'a été donné de lire de plus fort en littérature française depuis longtemps. En même temps, je ne lis pas tout ce qui publié. Ça commence un peu comme le péril jeune de Cédric Klapisch, mais l'univers de Rochefort n'est pas celui de la comédie sympathique. On pense plutôt au titre original du Rusty James de Coppola, Rebel without a cause. Le trio d'anti-héros sont, en effet, des rebelles qui se perdront faute de cause. Trop lucides pour pouvoir s'engager vraiment, pas assez cyniques pour accepter le monde tel qu'il est. Sauf peut-être Joris très vite confronté aux réalités de la vie. Son choix radical est aussi un refus de « son » monde tel qu'il est.
La paresse et la vie est le portrait d'une génération perdue, qui s'ennuie devant la télévision, voudrait changer le monde mais qui sait qu'on ne le peut pas, qui cherche sans trouver. Que faire qui n'est déjà été fait ? Il y a bien l'alcool et les drogues pour oublier le réel. Mais le retour est toujours brutal dans le roman. Ratel parti à Berlin, après que son père disparaisse mystérieusement – le père de ratel est la sorte de point aveugle du roman, le centre vers lequel tout converge et qui reste pourtant une masse opaque, incompréhensible à son fils, à son épouse et au lecteur – y continuera ses expérimentations. Jusqu'à découvrir la souffrance du rejet, et l'inconstance des sentiments.
Ratel est né trop tard dans un monde trop vieux et son retour en France n'arrangera rien. Un temps, on espère que l'amitié sera une voie pour la rédemption. Mais les liens se font plus lâches et la reconstitution du trio aura perdu l'enthousiasme des premières fois. On n'est pas dans une chanson de Patrick Bruel. Les rendez-vous dans 10 ans sont cruels.

La paresse et l'oubli n'est pas un livre facile à lire. On y boit beaucoup ; la tonalité est noire. Si, comme j'ai entendu un jour un professionnel du livre le dire, vous pensez que « les écrivains devraient écrire des livres plus optimistes, parce que les gens ont des vies difficiles », passez votre chemin. La paresse et l'oubli n'est pas le roman qui vous réconciliera avec le bonheur de vivre. Peut-être qu'il vous donnera de quoi avoir un regard plus lucide.
Vous n'y trouverez ni complaisance avec les paradis artificiels – ils sont là, c'est tout, ni psychologisme à la française dans ce qu'il a de pire. David Rochefort, l'auteur est, ai-je lu, diplômé de philosophie. Et cela se lit. Le roman brasse aussi bien des considérations savantes sur le hard rock (ce passage est à la limite de la fiche « le hard rock pour les nuls » insérée dans le récit) que des citations d'Henri Laborit ou une analyse passionnante de The passenger d'Antiononi.
Que cela ne vous fasse pas peur, car si la paresse et l'oubli est un roman avec des morceaux d'idées à l'intérieur, c'est parce que celles-ci aident les personnages à appréhender le monde0. Roman dépressif d'un apprentissage intellectuel, il réussit à être savant et incarné (encore une fois, peut être, ce livre peut tomber des mains d'un lecteur non initié).
Ce portrait de groupe est surtout un total démenti à Rimbaud qui prétendait qu'on n'est pas sérieux quand on a 17 ans. Ratel et sa bande prouvent le contraire. C'est d'avoir pris le monde avec tout le sérieux dont on est capable à cet âge qui les conduit dans deux cruelles impasses : la paresse et l'oubli.

Christophe Bys


Gallimard 17,50 euros

Savoir-vivre Hédi Kaddour



Il ne faudrait pas lire les critiques avant d'acheter les livres. Mais comment savoir quel livre pourra nous plaire si on n'a pas lu de critique avant ? La preuve avec Savoir-vivre. A force de lire que ce livre contient un formidable retournement à la fin, le lecteur ne le lit plus de la même façon. Tel un détective, il cherche à trouver ce que l'auteur peut nous réserver.
En tout cas, c'est ce que j'ai fait et j'en ai voulu à ceux qui m'avait révélé que ce livre avait un secret qui balaie tout, une fois connu. Le genre de révélation qui vous oblige à relire le livre une deuxième pour savoir comment cela est possible de se faire berner... Et que tous ceux qui le liront le sachent : le roman s'appuie sur une histoire vraie, ce ne sont donc pas des délires de romancier à l'imagination débridée. Le livre repose sur un fait divers, et le talent de Hédi Kaddour est de nous mettre dans la même situation que les contemporains qui découvrirent « l'étonnant mystère ».
Pour dire vrai, j'en ai voulu un temps aux critiques. La narration et le style d'Hédi Kaddour m'ont emporté et je ne sais plus joué le détective, fasciné par l'élégante prose. Très vite, j'ai oublié tout ce que j'avais lu pour me laisser prendre par les évidentes qualités de ce roman à la fois très classique et pourtant pas comme les autres.
Mais trêves de préliminaires, venons en aux faits. Une ville : Londres. Cinq personnages : un journaliste français, une cantatrice américaine, ex maîtresse du plumitif, un jeune pianiste nouveau favori de la chanteuse lyrique, l'étrange Strehter maître d'hôtel plus british que nature et Gladys jeune femme britannique qui le temps de la première guerre trouvera l'amour, le perdra et découvrira le chemin de l'indépendance.
Max, le journaliste et la diva croisent Strehter, ancien officier de la bataille de Mons, ayant depuis rejoint les rangs du parti faciste anglais. Pour Max, c'est l'occasion de faire un portrait de cet étrange personnage, officier désoeuvré devenu maître d'hôtel d'un palace londonien. Comme d'autres anciens combattants, il entretient une sorte de légende selon laquelle des anges seraient apparus à Mons à l'armée en déroute, lui évitant un carnage.
Si l'histoire avec un grand H est le moteur de la narration, Savoir-vivre n'en oublie pas l'histoire intime de ses personnages. Car c'est aussi le récit de plusieurs histoires d'amour. La plus belle et la plus audacieuse est sûrement celle qui lie la chanteuse Léna et Thibault son jeune amant. Lettré, Hédi Kaddour la raconte uniquement – ou presque – à partir des répétitions du concert qu'ils préparent. Lena explique chacun des chants, les intonations et les intentions du poète, faisant d'une explication de textes et d'une leçon de musique la plus belle des déclarations. Magistral !
Et puis il y a la forme du récit. D'une apparente simplicité. Une dizaine de chapitres, tous composés suivant le même modèle : une succession d'instantanés qui excèdent rarement une page. D'où le rythme du récit qui ne s'apesantit jamais, léger comme les apparences … qui pourtant sont trompeuses. Et il n'y a pas de quoi en faire un drame semble nous dire Hédi Kaddour, tant que le savoir-vivre règnera.

Christophe Bys


Gallimard 16,90 euros

La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique Martin Page



De Martin Page, j'avais lu le premier roman au titre si génial : Comment je suis devenu stupide. D'ailleurs, je ne me souviens plus du tout de ce livre, comme si tout était dans le titre. Alors en prenant en main la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique, le dernier roman du même Martin Page, je n'ai pu que remarquer le talent de l'auteur pour les titres mystérieux. Et je parie que je me souviendrai de ce livre dans quelques années, tant il est singulier.
C'est un livre de conteur et une histoire de rencontres. « Un mercredi soir de la mi-décembre, boulevard Barbès, sous les arbres décorés des guirlandes électriques de Noël, une matraque a rencontré un crâne ». Ainsi commence le roman de Martin Page. De cette rencontre entre un objet contandant et un crâne humain - celui de Fata Okoumi, riche femme d'affaires africaine victime d'une bavure à l'occasion d'un contrôle d'identité - naîtront d'autres croisements. Entre le narrateur, sombre fonctionnaire à la mairie de Paris chargé de préparer les discours du maire, et Fata Okoumi, par exemple.
Celle-ci lui fera part de sa volonté de voir Paris disparaître, avant de retomber dans le coma. Mais comment s'y prend on pour organiser la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique ? De chapitres en chapitres, d'essais ratés en tentatives réussies, Martin Page apportera une solution convaincante. Cette réussite passe par une description précise du mode de vie de son personnage ou des décors. S'il réussit à nous faire croire à cette histoire abracadabrantesque – comme disaient les fées des contes de notre enfance, c'est en l'inscrivant dans notre quotidien.
Ainsi, ce roman qui est tout sauf une charge manichéenne et didactique contre le racisme raconte aussi la naissance à la vie du narrateur. Ce dernier rappelle les personnages gris de la littérature française de l'entre-deux-guerres, ces petits employés sans envergure, solitaire. Il pourrait quasiment être un personnage d'un roman de Houellebecq, un cadre moyen d'une administration chargée d'une mission rébarbative et comblant tant bien que mal – plutôt mal que bien – ses frustations sentimentales et sexuelles. La rencontre avec Fata Okoumi changera sa vie, non pas d'un coup de baguette magique comme dans les émissions de coaching proposées par la télévision. Mais par un réveil progressif de sa raison et de ses sens, qui lui donneront à nouveau envie de vivre pleinement. Cela commence par une trompette acheté du côté de Pigalle...
Car si Paris disparaît et renaît en Afrique 200 pages plus loin, c'est surtout le narrateur du début qui disparaît au fil des pages. Car si le roman est une histoire de rencontres, il est aussi le récit des séparations et de notre irrésistible besoin de construire des villes comme Paris, seule parade à ce besoin de consolation impossible à rassasier.

Christophe Bys

Edition de l'Olivier 16,50 euros

La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique Martin Page



De Martin Page, j'avais lu le premier roman au titre si génial : Comment je suis devenu stupide. D'ailleurs, je ne me souviens plus du tout de ce livre, comme si tout était dans le titre. Alors en prenant en main la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique, le dernier roman du même Martin Page, je n'ai pu que remarquer le talent de l'auteur pour les titres mystérieux. Et je parie que je me souviendrai de ce livre dans quelques années, tant il est singulier.
C'est un livre de conteur et une histoire de rencontres. « Un mercredi soir de la mi-décembre, boulevard Barbès, sous les arbres décorés des guirlandes électriques de Noël, une matraque a rencontré un crâne ». Ainsi commence le roman de Martin Page. De cette rencontre entre un objet contandant et un crâne humain - celui de Fata Okoumi, riche femme d'affaires africaine victime d'une bavure à l'occasion d'un contrôle d'identité - naîtront d'autres croisements. Entre le narrateur, sombre fonctionnaire à la mairie de Paris chargé de préparer les discours du maire, et Fata Okoumi, par exemple.
Celle-ci lui fera part de sa volonté de voir Paris disparaître, avant de retomber dans le coma. Mais comment s'y prend on pour organiser la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique ? De chapitres en chapitres, d'essais ratés en tentatives réussies, Martin Page apportera une solution convaincante. Cette réussite passe par une description précise du mode de vie de son personnage ou des décors. S'il réussit à nous faire croire à cette histoire abracadabrantesque – comme disaient les fées des contes de notre enfance, c'est en l'inscrivant dans notre quotidien.
Ainsi, ce roman qui est tout sauf une charge manichéenne et didactique contre le racisme raconte aussi la naissance à la vie du narrateur. Ce dernier rappelle les personnages gris de la littérature française de l'entre-deux-guerres, ces petits employés sans envergure, solitaire. Il pourrait quasiment être un personnage d'un roman de Houellebecq, un cadre moyen d'une administration chargée d'une mission rébarbative et comblant tant bien que mal – plutôt mal que bien – ses frustations sentimentales et sexuelles. La rencontre avec Fata Okoumi changera sa vie, non pas d'un coup de baguette magique comme dans les émissions de coaching proposées par la télévision. Mais par un réveil progressif de sa raison et de ses sens, qui lui donneront à nouveau envie de vivre pleinement. Cela commence par une trompette acheté du côté de Pigalle...
Car si Paris disparaît et renaît en Afrique 200 pages plus loin, c'est surtout le narrateur du début qui disparaît au fil des pages. Car si le roman est une histoire de rencontres, il est aussi le récit des séparations et de notre irrésistible besoin de construire des villes comme Paris, seule parade à ce besoin de consolation impossible à rassasier.

Christophe Bys

Edition de l'Olivier 16,50 euros

L'évasion Adam Thirwell


Attention, granTécrivain. C'est écrit sur la quatrième de couverture. Ce n'est pas tous les jours qu'on compare un roman à Tristram Shandy ou à un autre granTauteur Milan Kundera. Le maître tchèque est même cité quelques lignes plus bas : « un roman dont l'humour est mélancolique, la mélancolie malicieuse et le talent impressionnant ». De quoi impressionner l'apprenti critique du dimanche au moment de commencer à rédiger.
Et bien oui, Milan a raison, tout ce qu'il dit dans cette citation est vraie. Mais l'évasion ce n'est pas que ça. Malheureusement. Si toutes les qualités susmentionnées – intelligence, mélancolie talent, pour les distraits - sont là, il en manque une pourtant : celle qui donne envie de recommander sans condition un livre.
L'évasion est un roman difficile à résumer, ce qui constitue déjà un bon signe. Soit un banquier presque octogénaire, j'ai nommé Raphaël Haffner. Le roman s'ouvre sur une scène de voyeurisme sexuel, soit le dit banquier enfermé dans une armoire matant une femme de chambre de l'hôtel, où Haffner séjourne, et le fiancé de la jeune femme. Que diable est il venu faire dans cette armoire, vous demandez-vous.
Au fil des pages, on le comprend, le sexe est la grande affaire de la vie d'Haffner, une obsession pour cet éternel adolescent, qui cite la liste des empereurs romains, comme d'autres connaissent les stations de métro de la ligne 9 entre République et Porte de Montreuil. Une occupation qui n'étonnera pas ceux qui avaient lu le premier roman de Thirwell où une histoire de mariage à trois servait de base à l'évocation des théories de l'auteur sur la vie en société. Comme on dit dans les pages Mode du Figaro, « les basiques sont là ».
Comme rien n'est jamais simple, derrière son obsession qu'il analyse au fil des pages, Haffner est aussi un grand amoureux, l'homme d'une femme. D'ailleurs, ce n'est sûrement pas un hasard si au crépuscule de sa vie, l'indigne libidineux séjourne dans un palace d'Europe centrale. S'il est venu en ce lieu, c'est qu'il attend de pouvoir de récupérer la maison des parents de sa défunte épouse. Comme une sorte d'ultime rachat, mais n'en disons pas davantage, l'histoire de ce mariage réservant un coup de théâtre final qu'il serait injuste et indélicat de révéler.
L'évasion est donc de ces romans dont l'intérêt ne réside pas dans la progression de l'intrigue, que l'on vient de résumer, pour peu qu'on ajoute qu'Haffner entretient une liaison avec une touriste échouée dans le même hôtel. L'intérêt réside dans le portrait qui est fait d'un homme, alternant le récit au présent (l'intrigue principale) et des flash backs (l'enfance d'Haffner, les amours d'Haffner, Haffner et son beau-frère, Haffner et la religion juive...). Thirwell, possédant un sens très sûr de la construction, précise ainsi au fil des pages le portrait de son héros. Roman riche de digressions philosophiques – comme celle-ci « la vie n'était qu'une façon de plus de perdre son temps », L'évasion soufre malgré tout d'un problème de rythme. Le livre est trop long par rapport aux enjeux narratifs qui le constituent.
En puis j'ai envie de pousser un coup de gueule : je n'en peux plus des clichés sur l'Europe de l'est. A les lire, l'européen central ou oriental moyen est une brute épaisse, avide de dollars, prêt à tout pour les obtenir. Les filles se prostituent, les hommes se soulent et le pays est forcément peuplé de corrompus passés en une nuit du communisme au capitalisme, sans morale. On ne demande pas à un écrivain de nous décrire toutes les subtilités du réel, surtout quand son propos n'est évidemment pas naturaliste comme c'est ici le cas. L'évasion est un conte qui se déroule dans un pays largement imaginaire, j'ai bien compris. Un roman qui prétend nous montrer un personnage dans toute sa complexité ne peut-il pas faire de même avec le décor qui l'entoure ? La littérature ne devrait-elle pas aussi s'attacher à détruire les clichés qui polluent nos imaginaires ?
Reste que Thirwell est incontestablement intelligent et cultivé et qu'il possède l'art romanesque.A peine âgé de 30 ans, il a écrit la vie d'un homme ayant vécu, sans qu'à aucun moment, on ait le moindre doute sur la véracité du personnage. Dommage qu'il ne fasse pas davantage confiance au roman, qu'il se croit obligé de faire son « malin ». Car les plus belles pages de ce livre relatent l'amour qu'éprouve Haffner pour la musique de Cole Porter et les chansons d'Ella Fitzgerald. De même, la relation entre Haffner et son petit fils Benjamin sont aussi d'une grande justesse sans jamais tomber dans le mièvre.
Vivement le troisième roman d'Adam Thirwell. Et sans citation de Kundera, pour intimider le lecteur.

Christophe Bys


Editions de l'Olivier 22 euros