dimanche 28 mars 2010

L'intrusion Adam Haslett



photo : PB

Adam Haslett a publié un formidable recueil de nouvelles aux éditions de l'Olivier il y a quelques années : Vous n'êtes pas seul ici. Aujourd'hui, Gallimard publie son premier roman, qui pourrait reprendre le titre des nouvelles, tant on y retrouve tout ce qu'on avait aimé précédemment.
C'est le roman qu'on attendait et qui arrive enfin, celui qui raconte les Etats-Unis des années 1990 2000, qui commence dans la guerre du Golfe et s'achève dans le conflit irakien, deux points qui constituent le début et la fin du livre.
Entre les deux, on trouve l'histoire de trois personnages principaux : Doug Fanning, ex marines devenu numéro 2 d'une des banques les plus en vues de wall street, qui couvre un trader menant des opérations spéculatives pour le moins hasardeuse en Asie. Pour signer sa richesse, Doug se fait construire une maison mitoyenne à celle de Charlotte Graves l'héritière un peu dérangée d'une famille de praticiens locaux. Doug ayant construit sa maison sur un terrain que les ancêtres de Charlotte ont légué à la ville, ces deux-là vont entrer dans une forme de guerre interne où tous les coups sont permis, chacun défendant finalement sa vision de l'Amérique. Fidélité aux valeurs d'hier contre triomphe de l'argent. Entre eux-deux, navigue Nate un jeune lycéen, orphelin de père, tout droit sorti d'un film de Gus Van Sant. En situation d'échec scolaire, il vient prendre des cours chez Charlotte, et rencontre Doug, l'adolescent étant attiré par cette étrange domicile aux allures de petit palais mais à l'intérieur vide.

C'est un livre difficile à résumer en quelques mots. Il raconte la vague folle de spéculation du début des années 2000, jusqu'à l'excès. Il décrit à la fois par le menu le fonctionnement du système financier américain, comment les traders malhonnêtes fraudent (certains passages sont à la limite de l'indigeste), et même la préparation d'un plan de sauvetage du système financier. Une histoire qui rencontre quelques échos contemporains. Puis il passe au chapitre suivant au drôle de dialogue qu'entretient Charlotte Graves avec ses deux chiens. Ou à la vie d'une bande adolescents, gosses de riches désoeuvrés qui testent les drogues comme d'autres changent les posters de leurs chambres.
Plus fondamentalement, c'est un livre brillant sur les Etats-Unis d'aujourd'hui. A le lire, il n'y a plus que les états qui soient unis, car les citoyens qui composent le pays sont, eux, plus désunis que jamais. Incapables de dialoguer, ils vivent les uns à côtés des autres sans plus chercher à se comprendre, ni même à co-exister. L'intrusion du titre est celle du voisin forcément illégitime. Dans un tel monde, nous dit Haslett, il ne reste que deux moyens de créer du lien : l'argent dont la circulation assure le fonctionnement du système et le Droit ou la Justice, lieu de règlement de tous les conflits, entre deux voisins ou entre deux Etats. Même la sexualité n'arrive plus à unir, comme en témoigne les scènes de sexe entre deux des protagonistes.
Pourtant, tous les personnages (aux trois principaux, il faut ajouter le frère de Charlotte, le patron de Doug, sa secrétaire ou les amis de Nate, tous remarquablement traités, et créant autant d'intrigues secondaires) partagent la même profonde tristesse, la même mélancolie. Charlotte comme Doug sont quoiqu'ils fassent deux enfants perdus dans le monde des adultes et il est prévisible que Nate suivra le même chemin, même si Haslett laisse entrevoir un avenir un peu plus radieux pour lui.. Au fond, Charlotte n'a jamais voulu panser ses douleurs, elle vit dans la remémoration permanente d'un échec amoureux, d'un amour qui n'a pas pu sauver celui qui en était l'objet. Doug, le marines, a appris à tout encaisser, c'est un être sans émotion, ni sentiments. Tout, chez lui, est sous contrôle, au point de ne pouvoir vivre qu'au milieu de fantômes.
Une des scènes les plus déchirantes est à la fin du livre. Doug retourne voir sa mère, qu'il avait quitté pour s'engager dans les Marines. Son enfance a été bouleversée par cette femme alcoolique et on se doute qu'un des moteurs de sa réussite sociale a été la volonté d'épater cette femme qu'il a trop vu souffrir. Au moment, où il frappe à sa porte, une surprise de taille l'attend, résumant toute la vanité des motivations humaines. Doug s'est trompé, Charlotte aussi. Non, « vous n'êtes pas seuls ici ». encore faudrait-il que vous vous donniez la peine de vous parler. Le roman d'Haslett réussit à être à la fois un grand roman balzacien sur les Etats Unis d'aujourd'hui tout en étant en permanence dans l'intimité de ses personnages. Eblouissant et bouleversant !

Christophe Bys


Gallimard 21 euros

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