dimanche 25 avril 2010

Cour Nord Antoine Choplin


Cour Nord n'est pas à proprement parler un roman. C'est un récit d'une centaine de pages. Il évoque la grève et la fermeture d'une usine dans le Nord de la France. Et la passion pour le jazz d'un quatuor de copains. Dans l'usine travaillent un père et son fils, Leopold, le narrateur, qui est aussi le trompettiste. Voilà pour le lien entre les deux brins de fiction qu'Antoine Choplin entremêle avec un grand talent.

Le père, ouvrier syndicaliste qui ira jusqu'au bout de son refus, et le fils, passionné de musique et, pour reprendre une formule de Desproges plus dégagé qu'engagé, ne s'opposent pas vraiment. Ils vivent plutôt côte à côte. On sent comme une sorte d'équilibre précaire entre les deux hommes, qui donnent l'image d'une cohabitation sur fond d'incompréhension mutuelle mais aussi d'un grand respect de l'un pour l'autre.
Mais si la relation filiale est la trame du récit, Cour Nord n'est pas un texte qui repose sur la psychologie. C'est un livre très rare, qui ne tient que par le style et qui, pourtant, est tout sauf un exercice de style. Car Antoine Choplin n'a pas besoin de grands effets pour faire ressentir les flux de sentiments. En peu de mots, il impose un univers, sans fioritures excessives. Tout ce que les personnages ne disent pas est pourtant là, à fleur de page, à fleur de peau...
Ne connaissant pas grand chose à la musique de jazz, je ne saurai dire s'il existe un lien entre cette musique et le style. J'ai bien noté que la construction du récit repose sur des variations sur le thème, le propre du jazz. Cour Nord déploie une énergie proche de certains morceaux, à commencer par ceux de Chet Baker, sombre et limpide, à la tristesse claire.
Cour Nord désigne une partie de l'usine mais aussi un morceau de jazz. Car le temps du récit, Léopold créera sa première oeuvre, tandis que son père livrera son dernier combat.
Cour Nord vaut aussi pour ses personnages secondaires, les amis musiciens, dont le pianiste amoureux des plis.. ou la micro société de l'usine, d'Ahmed à la fille du café qui rêve d'ouvrir un magasin d'oiseau.
C'est tout cela qu'arrive à faire tenir en une centaine de pages Antoine Choplin, et bien plus dans ce récit irrigué de sentiment. Antoine Choplin ne prend à aucun moment la place du justicier qui règlerait des comptes. Il sait que le plus important est de tenir la note juste. Chapeau!

Christophe Bys

Ici, on peut écouter Chet Baker chanter My funny valentine http://www.youtube.com/watch?v=jvXywhJpOKs

Série Z J.M. Erre



Voilà un livre que j'ai acheté un peu par hasard en traînant dans un grand magasin de biens culturels de la Défense... Sûr que je ne l'aurai pas lu, si je ne l'avais pas vu sur un étal.. comme quoi rien ne remplace un bon vieux libraire..

Félix Zac est un looser comme les romans les aiment. Un perdant qui a une passion : les séries Z, il tient même un blog sur le sujet et a écrit un scénario se déroulant dans une maison de retraite d'acteurs ayant tourné jadis dans des nanards, sauf qu'un jour, comme on dit, la fiction dépasse la réalité, et que la série de meurtre que raconte le dit scénario ont vraiment lieu. A partir de là, tout s'enchaîne, mêlant quiproquo et humour. Car ce scénario a été acheté par un boucher qui veut surveiller les vélléités cinématographiques de son fils. Ajouter à cela une copine écolo bobo, une soeur castatrice, une mère .. maternelle et une flopée d'acteurs centenaires, dont un couple d'érotomanes, pratiquant l'amour à l'heure du déambulateur et vous aurez une idée de ce qu'est ce livre : loufoque et inventif.

Il doit être très difficile de réussir un roman intéressant en parodiant avec amour le monde des séries Z. J.M. Erre y réussit. Si son humour est parfois trop lourd ( par exemple, le fils d'un inspecteur de policier stupide et boulimique donne lieu à une série de gags aussi rassasiants qu'un cassoulet). A cette réserve près, série Z est un excellent divertissement. et l'auteur possède un sens remarquable de la construction. En effet, le récit progresse en mélangeant plusieurs textes :
- le récit proprement dit
- le blog du héros
- le scénario du film gore
- le petit carnet où le héros a noté qui il était, car étant angoissé, il a préparé ce vade mecum au cas où il deviendrait amnésique
- les notes de l'inspecteur
...
Passant sans cesse de l'un à l'autre, le récit reste d'une grande simplicité à comprendre.
Si j'étais psy, je conseillerai à l'auteur pourquoi les relations parents enfants sont aussi compliquées dans son livre. entre le héros et sa mère, entre l'inspecteur et son fils, ou encore entre le boucher producteur et son rejeton, les rapports sont plus que difficiles. Série Z est vraiment un très bon divertissement qui se dévore sans faim.


Buchet Chastel 20 euros

La voie de Bro Vladimir Sorokine


Un roman russe de science fiction c'est un univers en soi, un objet particulier dont je ne suis pas sûr de détenir toutes les clés pour ne pas énoncer de grosses bêtises. Tant pis, prenons des risques. Mieux vaut paraître idiot en parlant qu'être intelligent et silencieux..

Au commencement était Sneguirov, le fils d'un industriel à l'époque de la Russie présoviétique.Né le jour où une comète s'est écrasé en plein milieu de la Sibérie, il grandit sans problèmes au sein d'une famille bourgeoise jusqu'au jour où survient la Révolution, qui l'arrachera aux siens.. pour mieux les retrouver. oui vous avez bien lu, il échappe aux siens pour les retrouver.. Mais il y a une subtilité ceux que Bro - car il a changé de nom entre-temps - retrouvent une fois sa famille initiale sont sa vraie famille, ceux qu'il appelle ses frères et ses soeurs, 40 000 êtres issu d'un rayon de lumière qui se sont fracassés sur la terre, la chute de la fameuse comète..
A partir de cette renaissance Bro n'aura de cesse que de retrouver cette fratrie extra terrestre, qui n'ont rien de petits hommes verts, mais qui sommes comme vous et moi, si ce n'est qu'ils peuvent parler avec leur corps, sans utiliser le langage parlé des simples hommes. Pour les éveiller à leur être profond, Bro et la petite dizaine qu'il réunit autour de lui, doivent planter un marteau de glace dans le coeur des uns et des autres. Reste que l'action se déroule dans la Russie soviétique où la police secrète est impitoyable.

Drôle de livre. Drôle de livres devrais je plutôt écrire, car il s'agit de plusieurs romans en un. Le premier assez classique narre l'enfance du héros, on pense à tchekov ou à tolstoi, les grands maîtres du roman russe..
Pour découvrir sa vraie nature, Bro emprunte une expédition scientifique, et là commence le deuxième roman, un roman d'aventures à la conquête de l'est pour rejoindre la sibérie et la fameuse comète. Troisième roman : la révélation faite à Bro et la réunion des premiers membres. C'est le point faible du livre, les rencontres sont très répétitives. Si Sorokine a voulu montrer l'importance du rite, son côté répétitif, c'est réussi mais c'est au prix d'une impression de surplace qui nuit à la dynamique du roman. Enfin, le dernier roman raconte la fin de la vie de Bro et sa révélation de ce qu'est la vie sur terre, Bro atteignant l'essence des "machines de chair" au-delà des apparences. C'est la partie la plus politiqueet peut être la plus réussie, car Sorokine raconte l'histoire de l'horreur totalitaire en URSS et en Allemagne au 20e siècle. Des pages très fortes..

Je suis toujours fasciné quand un écrivain réussit à faire passer l'histoire la moins réaliste dans un roman. Tel est le cas de Sorokine. En lisant La voie de Bro, je me suis plusieurs fois demandé si finalement le narrateur n'était pas une sorte de chef de secte. Renseignements pris, j'ai découvert que la voie de Bro était le second tome d'une trilogie commencé avec la glace, qui raconte l'histoire d'une secte. C'est aussi une des réussites de ce livre que de suggérer cette interprétation sans jamais l'imposer. Ah s'il n'y avait pas ce tunnel du milieu, ce livre m'aurait ravi..



Editions de l'olivier 23 euros