dimanche 28 mars 2010

L'horizon Patrick Modiano




Depuis qu'une prof de français a eu la bonne idée de me faire lire rue des boutiques obscures de Modiano en classe seconde, j'ai toujours suivi de près cet auteur qui est un des rares contemporains dont j'ai sinon tout lu, pratiquement tout lu.
Les amateurs y retrouveront tout ce qu'ils aiment chez Modiano. Pour tout dire, au début cela m'a énervé. Chez Modiano, les carnets sont forcément en moleskine ( on doit lire au moins 4 fois ce mot dans ce livre là), les canapés en skaï et les chemisiers en rayone. Il n'empêche qu'une fois passé ces réticences, la magie opère toujours.
Première nouveauté : Internet. Depuis rue des boutiques obscures, les héros modianesques passaient leur vie dans des bottins à rechercher des traces, des souvenirs de personnages croisés dans le passé. Désormais, le narrateur peut utiliser Internet pour accomplir ses tâches, mais cela ne change rien au rythme de sa recherche. Nouvelles techonologies ou pas, le temps de modiano est celui de la mémoire, des concordances et des correspondances, des échos du temps passé, avec cette question obsédante : que reste-t-il de ce que nous avons vécu ? Quelle trace laisse un individu ?

Ici le narrateur se remémore un épisode de son passé, une jeune femme croisée et aimée Margaret Le Coz, une bretonne née à Berlin, venue à Paris en passant par Genève, fuyant un homme qui la poursuit pour d'obscures raisons. Tout le génie de Modiano est qu'à mesure qu'on progresse dans l'intrigue, qu'on croît mieux comprendre les personnages, le mystère s'épaissit. S'il éclaire davantage un point, c'est pour plonger encore plus le reste de la scène dans l'ombre. Que sait-on au départ de Margaret ? Pas grand chose. Et à la fin du livre ? Guère plus. Les motivations du narrateur resteront tout aussi clair-obscures. Qui est ce jeune homme qui travaille dans une librairie où il n'y a plus de clients, sauf un étrange médecin qui a appartenu à la rue Bleue, et poursuivi lui aussi dans la rue par un drôle de couple composé d'une femme qui se dit être sa mère et d'un prètre défroqué ? Un passage résume tout Modiano : « D'ailleurs était-ce vraiment elle ? Mieux valait ne pas en savoir plus. Au moins avec le doute, il reste encore une forme d'espoir, une ligne de fuite vers l'horizon ». L'ignorance comme moyen de continuer à pouvoir vivre. Le mystère Modiano c'est aussi cette capacité à faire du flou en utilisant un langage des plus précis et les moins ambigus. Du très grand art.
Après les premières pages qui m'ont agacées (le côté Moleskine du livre, Modiano fait un magnifique portrait de femme, celui de Margaret Le Coz, une petite soeur Des inconnues, un receuil de nouvelles qu'il avait écrit et qui réunissait trois portraits de femme. Il sait mieux que personne peindre ses femmes emprisonnées par leur destin. Volant être libre, mais n'y réussissant pas tout à fait, comme s'il existait une corde de rappel leur interdisant de prendre complètement leur envol. Margaret Le Coz est de celle-là.
Reste que sans rien révéler du dénouement, ce Modiano là tranche. S'il part d'une introspection du passé, il n'interdit pas le présent d'être peut-être, alors que jusqu'à maintenant, le passé dans les romans de Modiano était toujours fini et ne laissait aucun espoir pour aujourd'hui..

Christophe Bys


Gallimard 16,50 euros

Sainte famille, Jean Forton


Photos PB

C'est sûrement un des plus vieux livres de la rentrée littérature de janvier 2010. Sainte famille est, en effet, un inédit de Jean Forton, qui aurait été écrit si on en croit la quatrième de couverture, dans les années 60.
Bienvenue chez les Malinier, une famille bourgeoise, des cousins lointains des Le Quesnoy, le côté 60ies de la province française, comme on disait alors, en plus. Lui travaille dans l'import export, plus par devoir que par passion. Il a tout du fils de famille qui a hérité d'une situation qu'il liquidera, la modernisation de la France alors en route, n'ayant que faire de ses dilettantes. Sa passion c'est le piano. Chaque matin, il écoute religieusement ses 33 tours avant de partir de travailler, un hobby qui trahit comme un sentiment d'inaccomplissement. Madame Molinier est de ses femmes de sacrifice, qui économise sou après sou pour que la maison soit bien tenue. Pas le genre à aller chez les coiffeurs, ça fait vulgaire et ça coûte affreusement cher ! Quant au trio d'enfants, chacun cherche sa place : l'aîné ambitieux et tête à claques, le puiné mal dans sa peau et sensible, et la benjamine aux sens en éveil.
Sadique, l'auteur introduit dans ce petit milieu Stéphane, une sorte de tartuffe moderne, vivant de la crédulité des uns et des autres et séducteur. J'ai vu sur une table de libraire un bandeau rédigé à la main « Théorème dans la bourgeoisie française. Réjouissant ». C'est assez bien vu, si ce n'est qu'on est très très loin de Pasolini et donc de Théorème. La référence ce serait plutôt Feydeau, tant le livre évoque surtout le théâtre de boulevard avec cet hypocrite vivant aux crochets des autres, jetant son dévolu sur cette famille, espérant soutirer quelque argent pour accomplir enfin son grand projet, une sorte de christianisme revisité. Car Stéphane est à la fois un séducteur sans foi ni loi, un prêcheur capable d'expliquer que la femme doit être séduisante pour plaire à son mari. La fin du livre est à cet égard déroutante, jetant un regard tout autre sur les personnages et leurs motivations, mais nous n'en dirons rien.
Jean Forton mérite en tout cas d'être relu. Il écrit avec finesse. Si les ressorts dans l'intrigue sont parfois grossiers – l'auteur emploie quelques grosses ficelles à deux ou trois reprises pour faire avancer le récit, son art de la description est à l'exact opposé. Délicatesse, justesse et compréhension intime de l'ambiguité de tous les êtres. C'est délicieux comme une comédie française des années 60, avec, comme à l'époque, un sens des seconds rôles : de la fiancé de Luc, le second fils des Malinier, aux employées de Monsieur Malinier, une vieille fille revêche et une sorte de boulimique stupide. Rien dans ce livre n'est pourtant caricatural. La découverte de janvier 2010


Christophe Bys


Finitude 17 euros

L'intrusion Adam Haslett



photo : PB

Adam Haslett a publié un formidable recueil de nouvelles aux éditions de l'Olivier il y a quelques années : Vous n'êtes pas seul ici. Aujourd'hui, Gallimard publie son premier roman, qui pourrait reprendre le titre des nouvelles, tant on y retrouve tout ce qu'on avait aimé précédemment.
C'est le roman qu'on attendait et qui arrive enfin, celui qui raconte les Etats-Unis des années 1990 2000, qui commence dans la guerre du Golfe et s'achève dans le conflit irakien, deux points qui constituent le début et la fin du livre.
Entre les deux, on trouve l'histoire de trois personnages principaux : Doug Fanning, ex marines devenu numéro 2 d'une des banques les plus en vues de wall street, qui couvre un trader menant des opérations spéculatives pour le moins hasardeuse en Asie. Pour signer sa richesse, Doug se fait construire une maison mitoyenne à celle de Charlotte Graves l'héritière un peu dérangée d'une famille de praticiens locaux. Doug ayant construit sa maison sur un terrain que les ancêtres de Charlotte ont légué à la ville, ces deux-là vont entrer dans une forme de guerre interne où tous les coups sont permis, chacun défendant finalement sa vision de l'Amérique. Fidélité aux valeurs d'hier contre triomphe de l'argent. Entre eux-deux, navigue Nate un jeune lycéen, orphelin de père, tout droit sorti d'un film de Gus Van Sant. En situation d'échec scolaire, il vient prendre des cours chez Charlotte, et rencontre Doug, l'adolescent étant attiré par cette étrange domicile aux allures de petit palais mais à l'intérieur vide.

C'est un livre difficile à résumer en quelques mots. Il raconte la vague folle de spéculation du début des années 2000, jusqu'à l'excès. Il décrit à la fois par le menu le fonctionnement du système financier américain, comment les traders malhonnêtes fraudent (certains passages sont à la limite de l'indigeste), et même la préparation d'un plan de sauvetage du système financier. Une histoire qui rencontre quelques échos contemporains. Puis il passe au chapitre suivant au drôle de dialogue qu'entretient Charlotte Graves avec ses deux chiens. Ou à la vie d'une bande adolescents, gosses de riches désoeuvrés qui testent les drogues comme d'autres changent les posters de leurs chambres.
Plus fondamentalement, c'est un livre brillant sur les Etats-Unis d'aujourd'hui. A le lire, il n'y a plus que les états qui soient unis, car les citoyens qui composent le pays sont, eux, plus désunis que jamais. Incapables de dialoguer, ils vivent les uns à côtés des autres sans plus chercher à se comprendre, ni même à co-exister. L'intrusion du titre est celle du voisin forcément illégitime. Dans un tel monde, nous dit Haslett, il ne reste que deux moyens de créer du lien : l'argent dont la circulation assure le fonctionnement du système et le Droit ou la Justice, lieu de règlement de tous les conflits, entre deux voisins ou entre deux Etats. Même la sexualité n'arrive plus à unir, comme en témoigne les scènes de sexe entre deux des protagonistes.
Pourtant, tous les personnages (aux trois principaux, il faut ajouter le frère de Charlotte, le patron de Doug, sa secrétaire ou les amis de Nate, tous remarquablement traités, et créant autant d'intrigues secondaires) partagent la même profonde tristesse, la même mélancolie. Charlotte comme Doug sont quoiqu'ils fassent deux enfants perdus dans le monde des adultes et il est prévisible que Nate suivra le même chemin, même si Haslett laisse entrevoir un avenir un peu plus radieux pour lui.. Au fond, Charlotte n'a jamais voulu panser ses douleurs, elle vit dans la remémoration permanente d'un échec amoureux, d'un amour qui n'a pas pu sauver celui qui en était l'objet. Doug, le marines, a appris à tout encaisser, c'est un être sans émotion, ni sentiments. Tout, chez lui, est sous contrôle, au point de ne pouvoir vivre qu'au milieu de fantômes.
Une des scènes les plus déchirantes est à la fin du livre. Doug retourne voir sa mère, qu'il avait quitté pour s'engager dans les Marines. Son enfance a été bouleversée par cette femme alcoolique et on se doute qu'un des moteurs de sa réussite sociale a été la volonté d'épater cette femme qu'il a trop vu souffrir. Au moment, où il frappe à sa porte, une surprise de taille l'attend, résumant toute la vanité des motivations humaines. Doug s'est trompé, Charlotte aussi. Non, « vous n'êtes pas seuls ici ». encore faudrait-il que vous vous donniez la peine de vous parler. Le roman d'Haslett réussit à être à la fois un grand roman balzacien sur les Etats Unis d'aujourd'hui tout en étant en permanence dans l'intimité de ses personnages. Eblouissant et bouleversant !

Christophe Bys


Gallimard 21 euros

dimanche 21 mars 2010

La paresse et l'oubli David Rochefort



Ce sont les jambes de marylin monroe..

Pour un premier roman, c'est une réussite. A tel point qu'on se demande si ce n'est pas un de ses canulars comme l'édition les aime, un auteur confirmé qui tenterait une remise en cause en publiant sous pseudonyme. J'ai vu des photos de David Rochefort, et rien ne laisse penser que ce pourrait être Philippe Sollers avec des postiches.

Bienvenue au lycée Saint-James de Neuilly, où Ratel, l'anti-héros et deux de ses camarades, aussi anti-héros que lui, Joris et Dimitri, terminent leurs études secondaires, à l'âge des possibles, le meilleur comme le pire. Ces trois-là seront rassemblées par leur goût pour le hard rock. Le lecteur au fait des moeurs neuilléennes l'aura compris : le roman ne se situe pas du côté bling bling de la capitale des Hauts-de-Seine.
La littérature est une affaire de style, tout le monde le sait. Rochefort le prouve. Des parents de Joris , il écrit : ce sont « d'honnêtes cadres sans intérêt : de braves catholiques qui ont mauvaise haleine ». Fermez le ban tout est dit.
Un peu plus loin, : « Le visage de Dimitri est rond, franc, sans mensonges. Quand il rit, tous ses traits s'animent ; il mange comme huit mineurs polonais, et déteste être interrompu pendant son bâfrage. Une âme d'enfant dans un corps de géant ». Voilà pour l'arrivée du troisième larron de l'histoire. Rythme et précision sont les deux grandes qualités du style de David Rochefort. Ce n'est pas parce que le roman parle de trois jeunes que le style joue à imiter un parler jeune souvent pathétique en littérature.

Autant le dire d'emblée, la paresse et l'oubli est ce qu'il m'a été donné de lire de plus fort en littérature française depuis longtemps. En même temps, je ne lis pas tout ce qui publié. Ça commence un peu comme le péril jeune de Cédric Klapisch, mais l'univers de Rochefort n'est pas celui de la comédie sympathique. On pense plutôt au titre original du Rusty James de Coppola, Rebel without a cause. Le trio d'anti-héros sont, en effet, des rebelles qui se perdront faute de cause. Trop lucides pour pouvoir s'engager vraiment, pas assez cyniques pour accepter le monde tel qu'il est. Sauf peut-être Joris très vite confronté aux réalités de la vie. Son choix radical est aussi un refus de « son » monde tel qu'il est.
La paresse et la vie est le portrait d'une génération perdue, qui s'ennuie devant la télévision, voudrait changer le monde mais qui sait qu'on ne le peut pas, qui cherche sans trouver. Que faire qui n'est déjà été fait ? Il y a bien l'alcool et les drogues pour oublier le réel. Mais le retour est toujours brutal dans le roman. Ratel parti à Berlin, après que son père disparaisse mystérieusement – le père de ratel est la sorte de point aveugle du roman, le centre vers lequel tout converge et qui reste pourtant une masse opaque, incompréhensible à son fils, à son épouse et au lecteur – y continuera ses expérimentations. Jusqu'à découvrir la souffrance du rejet, et l'inconstance des sentiments.
Ratel est né trop tard dans un monde trop vieux et son retour en France n'arrangera rien. Un temps, on espère que l'amitié sera une voie pour la rédemption. Mais les liens se font plus lâches et la reconstitution du trio aura perdu l'enthousiasme des premières fois. On n'est pas dans une chanson de Patrick Bruel. Les rendez-vous dans 10 ans sont cruels.

La paresse et l'oubli n'est pas un livre facile à lire. On y boit beaucoup ; la tonalité est noire. Si, comme j'ai entendu un jour un professionnel du livre le dire, vous pensez que « les écrivains devraient écrire des livres plus optimistes, parce que les gens ont des vies difficiles », passez votre chemin. La paresse et l'oubli n'est pas le roman qui vous réconciliera avec le bonheur de vivre. Peut-être qu'il vous donnera de quoi avoir un regard plus lucide.
Vous n'y trouverez ni complaisance avec les paradis artificiels – ils sont là, c'est tout, ni psychologisme à la française dans ce qu'il a de pire. David Rochefort, l'auteur est, ai-je lu, diplômé de philosophie. Et cela se lit. Le roman brasse aussi bien des considérations savantes sur le hard rock (ce passage est à la limite de la fiche « le hard rock pour les nuls » insérée dans le récit) que des citations d'Henri Laborit ou une analyse passionnante de The passenger d'Antiononi.
Que cela ne vous fasse pas peur, car si la paresse et l'oubli est un roman avec des morceaux d'idées à l'intérieur, c'est parce que celles-ci aident les personnages à appréhender le monde0. Roman dépressif d'un apprentissage intellectuel, il réussit à être savant et incarné (encore une fois, peut être, ce livre peut tomber des mains d'un lecteur non initié).
Ce portrait de groupe est surtout un total démenti à Rimbaud qui prétendait qu'on n'est pas sérieux quand on a 17 ans. Ratel et sa bande prouvent le contraire. C'est d'avoir pris le monde avec tout le sérieux dont on est capable à cet âge qui les conduit dans deux cruelles impasses : la paresse et l'oubli.

Christophe Bys


Gallimard 17,50 euros

Savoir-vivre Hédi Kaddour



Il ne faudrait pas lire les critiques avant d'acheter les livres. Mais comment savoir quel livre pourra nous plaire si on n'a pas lu de critique avant ? La preuve avec Savoir-vivre. A force de lire que ce livre contient un formidable retournement à la fin, le lecteur ne le lit plus de la même façon. Tel un détective, il cherche à trouver ce que l'auteur peut nous réserver.
En tout cas, c'est ce que j'ai fait et j'en ai voulu à ceux qui m'avait révélé que ce livre avait un secret qui balaie tout, une fois connu. Le genre de révélation qui vous oblige à relire le livre une deuxième pour savoir comment cela est possible de se faire berner... Et que tous ceux qui le liront le sachent : le roman s'appuie sur une histoire vraie, ce ne sont donc pas des délires de romancier à l'imagination débridée. Le livre repose sur un fait divers, et le talent de Hédi Kaddour est de nous mettre dans la même situation que les contemporains qui découvrirent « l'étonnant mystère ».
Pour dire vrai, j'en ai voulu un temps aux critiques. La narration et le style d'Hédi Kaddour m'ont emporté et je ne sais plus joué le détective, fasciné par l'élégante prose. Très vite, j'ai oublié tout ce que j'avais lu pour me laisser prendre par les évidentes qualités de ce roman à la fois très classique et pourtant pas comme les autres.
Mais trêves de préliminaires, venons en aux faits. Une ville : Londres. Cinq personnages : un journaliste français, une cantatrice américaine, ex maîtresse du plumitif, un jeune pianiste nouveau favori de la chanteuse lyrique, l'étrange Strehter maître d'hôtel plus british que nature et Gladys jeune femme britannique qui le temps de la première guerre trouvera l'amour, le perdra et découvrira le chemin de l'indépendance.
Max, le journaliste et la diva croisent Strehter, ancien officier de la bataille de Mons, ayant depuis rejoint les rangs du parti faciste anglais. Pour Max, c'est l'occasion de faire un portrait de cet étrange personnage, officier désoeuvré devenu maître d'hôtel d'un palace londonien. Comme d'autres anciens combattants, il entretient une sorte de légende selon laquelle des anges seraient apparus à Mons à l'armée en déroute, lui évitant un carnage.
Si l'histoire avec un grand H est le moteur de la narration, Savoir-vivre n'en oublie pas l'histoire intime de ses personnages. Car c'est aussi le récit de plusieurs histoires d'amour. La plus belle et la plus audacieuse est sûrement celle qui lie la chanteuse Léna et Thibault son jeune amant. Lettré, Hédi Kaddour la raconte uniquement – ou presque – à partir des répétitions du concert qu'ils préparent. Lena explique chacun des chants, les intonations et les intentions du poète, faisant d'une explication de textes et d'une leçon de musique la plus belle des déclarations. Magistral !
Et puis il y a la forme du récit. D'une apparente simplicité. Une dizaine de chapitres, tous composés suivant le même modèle : une succession d'instantanés qui excèdent rarement une page. D'où le rythme du récit qui ne s'apesantit jamais, léger comme les apparences … qui pourtant sont trompeuses. Et il n'y a pas de quoi en faire un drame semble nous dire Hédi Kaddour, tant que le savoir-vivre règnera.

Christophe Bys


Gallimard 16,90 euros

La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique Martin Page



De Martin Page, j'avais lu le premier roman au titre si génial : Comment je suis devenu stupide. D'ailleurs, je ne me souviens plus du tout de ce livre, comme si tout était dans le titre. Alors en prenant en main la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique, le dernier roman du même Martin Page, je n'ai pu que remarquer le talent de l'auteur pour les titres mystérieux. Et je parie que je me souviendrai de ce livre dans quelques années, tant il est singulier.
C'est un livre de conteur et une histoire de rencontres. « Un mercredi soir de la mi-décembre, boulevard Barbès, sous les arbres décorés des guirlandes électriques de Noël, une matraque a rencontré un crâne ». Ainsi commence le roman de Martin Page. De cette rencontre entre un objet contandant et un crâne humain - celui de Fata Okoumi, riche femme d'affaires africaine victime d'une bavure à l'occasion d'un contrôle d'identité - naîtront d'autres croisements. Entre le narrateur, sombre fonctionnaire à la mairie de Paris chargé de préparer les discours du maire, et Fata Okoumi, par exemple.
Celle-ci lui fera part de sa volonté de voir Paris disparaître, avant de retomber dans le coma. Mais comment s'y prend on pour organiser la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique ? De chapitres en chapitres, d'essais ratés en tentatives réussies, Martin Page apportera une solution convaincante. Cette réussite passe par une description précise du mode de vie de son personnage ou des décors. S'il réussit à nous faire croire à cette histoire abracadabrantesque – comme disaient les fées des contes de notre enfance, c'est en l'inscrivant dans notre quotidien.
Ainsi, ce roman qui est tout sauf une charge manichéenne et didactique contre le racisme raconte aussi la naissance à la vie du narrateur. Ce dernier rappelle les personnages gris de la littérature française de l'entre-deux-guerres, ces petits employés sans envergure, solitaire. Il pourrait quasiment être un personnage d'un roman de Houellebecq, un cadre moyen d'une administration chargée d'une mission rébarbative et comblant tant bien que mal – plutôt mal que bien – ses frustations sentimentales et sexuelles. La rencontre avec Fata Okoumi changera sa vie, non pas d'un coup de baguette magique comme dans les émissions de coaching proposées par la télévision. Mais par un réveil progressif de sa raison et de ses sens, qui lui donneront à nouveau envie de vivre pleinement. Cela commence par une trompette acheté du côté de Pigalle...
Car si Paris disparaît et renaît en Afrique 200 pages plus loin, c'est surtout le narrateur du début qui disparaît au fil des pages. Car si le roman est une histoire de rencontres, il est aussi le récit des séparations et de notre irrésistible besoin de construire des villes comme Paris, seule parade à ce besoin de consolation impossible à rassasier.

Christophe Bys

Edition de l'Olivier 16,50 euros

La disparition de Paris et sa renaissance en Afrique Martin Page



De Martin Page, j'avais lu le premier roman au titre si génial : Comment je suis devenu stupide. D'ailleurs, je ne me souviens plus du tout de ce livre, comme si tout était dans le titre. Alors en prenant en main la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique, le dernier roman du même Martin Page, je n'ai pu que remarquer le talent de l'auteur pour les titres mystérieux. Et je parie que je me souviendrai de ce livre dans quelques années, tant il est singulier.
C'est un livre de conteur et une histoire de rencontres. « Un mercredi soir de la mi-décembre, boulevard Barbès, sous les arbres décorés des guirlandes électriques de Noël, une matraque a rencontré un crâne ». Ainsi commence le roman de Martin Page. De cette rencontre entre un objet contandant et un crâne humain - celui de Fata Okoumi, riche femme d'affaires africaine victime d'une bavure à l'occasion d'un contrôle d'identité - naîtront d'autres croisements. Entre le narrateur, sombre fonctionnaire à la mairie de Paris chargé de préparer les discours du maire, et Fata Okoumi, par exemple.
Celle-ci lui fera part de sa volonté de voir Paris disparaître, avant de retomber dans le coma. Mais comment s'y prend on pour organiser la disparition de Paris et sa renaissance en Afrique ? De chapitres en chapitres, d'essais ratés en tentatives réussies, Martin Page apportera une solution convaincante. Cette réussite passe par une description précise du mode de vie de son personnage ou des décors. S'il réussit à nous faire croire à cette histoire abracadabrantesque – comme disaient les fées des contes de notre enfance, c'est en l'inscrivant dans notre quotidien.
Ainsi, ce roman qui est tout sauf une charge manichéenne et didactique contre le racisme raconte aussi la naissance à la vie du narrateur. Ce dernier rappelle les personnages gris de la littérature française de l'entre-deux-guerres, ces petits employés sans envergure, solitaire. Il pourrait quasiment être un personnage d'un roman de Houellebecq, un cadre moyen d'une administration chargée d'une mission rébarbative et comblant tant bien que mal – plutôt mal que bien – ses frustations sentimentales et sexuelles. La rencontre avec Fata Okoumi changera sa vie, non pas d'un coup de baguette magique comme dans les émissions de coaching proposées par la télévision. Mais par un réveil progressif de sa raison et de ses sens, qui lui donneront à nouveau envie de vivre pleinement. Cela commence par une trompette acheté du côté de Pigalle...
Car si Paris disparaît et renaît en Afrique 200 pages plus loin, c'est surtout le narrateur du début qui disparaît au fil des pages. Car si le roman est une histoire de rencontres, il est aussi le récit des séparations et de notre irrésistible besoin de construire des villes comme Paris, seule parade à ce besoin de consolation impossible à rassasier.

Christophe Bys

Edition de l'Olivier 16,50 euros

L'évasion Adam Thirwell


Attention, granTécrivain. C'est écrit sur la quatrième de couverture. Ce n'est pas tous les jours qu'on compare un roman à Tristram Shandy ou à un autre granTauteur Milan Kundera. Le maître tchèque est même cité quelques lignes plus bas : « un roman dont l'humour est mélancolique, la mélancolie malicieuse et le talent impressionnant ». De quoi impressionner l'apprenti critique du dimanche au moment de commencer à rédiger.
Et bien oui, Milan a raison, tout ce qu'il dit dans cette citation est vraie. Mais l'évasion ce n'est pas que ça. Malheureusement. Si toutes les qualités susmentionnées – intelligence, mélancolie talent, pour les distraits - sont là, il en manque une pourtant : celle qui donne envie de recommander sans condition un livre.
L'évasion est un roman difficile à résumer, ce qui constitue déjà un bon signe. Soit un banquier presque octogénaire, j'ai nommé Raphaël Haffner. Le roman s'ouvre sur une scène de voyeurisme sexuel, soit le dit banquier enfermé dans une armoire matant une femme de chambre de l'hôtel, où Haffner séjourne, et le fiancé de la jeune femme. Que diable est il venu faire dans cette armoire, vous demandez-vous.
Au fil des pages, on le comprend, le sexe est la grande affaire de la vie d'Haffner, une obsession pour cet éternel adolescent, qui cite la liste des empereurs romains, comme d'autres connaissent les stations de métro de la ligne 9 entre République et Porte de Montreuil. Une occupation qui n'étonnera pas ceux qui avaient lu le premier roman de Thirwell où une histoire de mariage à trois servait de base à l'évocation des théories de l'auteur sur la vie en société. Comme on dit dans les pages Mode du Figaro, « les basiques sont là ».
Comme rien n'est jamais simple, derrière son obsession qu'il analyse au fil des pages, Haffner est aussi un grand amoureux, l'homme d'une femme. D'ailleurs, ce n'est sûrement pas un hasard si au crépuscule de sa vie, l'indigne libidineux séjourne dans un palace d'Europe centrale. S'il est venu en ce lieu, c'est qu'il attend de pouvoir de récupérer la maison des parents de sa défunte épouse. Comme une sorte d'ultime rachat, mais n'en disons pas davantage, l'histoire de ce mariage réservant un coup de théâtre final qu'il serait injuste et indélicat de révéler.
L'évasion est donc de ces romans dont l'intérêt ne réside pas dans la progression de l'intrigue, que l'on vient de résumer, pour peu qu'on ajoute qu'Haffner entretient une liaison avec une touriste échouée dans le même hôtel. L'intérêt réside dans le portrait qui est fait d'un homme, alternant le récit au présent (l'intrigue principale) et des flash backs (l'enfance d'Haffner, les amours d'Haffner, Haffner et son beau-frère, Haffner et la religion juive...). Thirwell, possédant un sens très sûr de la construction, précise ainsi au fil des pages le portrait de son héros. Roman riche de digressions philosophiques – comme celle-ci « la vie n'était qu'une façon de plus de perdre son temps », L'évasion soufre malgré tout d'un problème de rythme. Le livre est trop long par rapport aux enjeux narratifs qui le constituent.
En puis j'ai envie de pousser un coup de gueule : je n'en peux plus des clichés sur l'Europe de l'est. A les lire, l'européen central ou oriental moyen est une brute épaisse, avide de dollars, prêt à tout pour les obtenir. Les filles se prostituent, les hommes se soulent et le pays est forcément peuplé de corrompus passés en une nuit du communisme au capitalisme, sans morale. On ne demande pas à un écrivain de nous décrire toutes les subtilités du réel, surtout quand son propos n'est évidemment pas naturaliste comme c'est ici le cas. L'évasion est un conte qui se déroule dans un pays largement imaginaire, j'ai bien compris. Un roman qui prétend nous montrer un personnage dans toute sa complexité ne peut-il pas faire de même avec le décor qui l'entoure ? La littérature ne devrait-elle pas aussi s'attacher à détruire les clichés qui polluent nos imaginaires ?
Reste que Thirwell est incontestablement intelligent et cultivé et qu'il possède l'art romanesque.A peine âgé de 30 ans, il a écrit la vie d'un homme ayant vécu, sans qu'à aucun moment, on ait le moindre doute sur la véracité du personnage. Dommage qu'il ne fasse pas davantage confiance au roman, qu'il se croit obligé de faire son « malin ». Car les plus belles pages de ce livre relatent l'amour qu'éprouve Haffner pour la musique de Cole Porter et les chansons d'Ella Fitzgerald. De même, la relation entre Haffner et son petit fils Benjamin sont aussi d'une grande justesse sans jamais tomber dans le mièvre.
Vivement le troisième roman d'Adam Thirwell. Et sans citation de Kundera, pour intimider le lecteur.

Christophe Bys


Editions de l'Olivier 22 euros