samedi 15 mai 2010

Olivier Jacquemond New York Fantasy



On ne peut pas imaginer plus opposé au roman précédent que cette fantaisie new yorkaise, où un jeune Français quitte la France pour voir le rêve américain. Etudiant en philosophie, le narrateur peut développer son analyse de la ville phare des Etats-Unis, "lieu où les gens venaient non pas afin de vivre ou de concrétiser leur rêves mais plutôt pour s'inventer les rêves qu'ils n'avaient pas". Dans la ville où le temps ne s'arrête jamais, la nostalgie est toujours déjà là, car là plus qu'aiileurs, rien ne dure jamais... à tel point que certains êtres n'arrivent plus à .. être justement.

En une petite centaine de pages Olivier Jacquemond fait de son "héros"étudiant un barman qui change de prénom et fait quelques rencontres. A commencer par le personnage de Mick ancien critique de rock, ayant fréquenté les héros du new york des années 60 70 devenu écrivain et client du bar de nuit. Il y a chez lui quelque chose d'un Méphistosphélès bienveillant, une sorte de diable qui voudrait vraiment le Bien de Tom, capable de voir derrière les apparences d'un barman bien sous tous rapports un être de félures.

New York Fantasy est plus une nouvelle qu'un roman, peut être une sorte de poème en prose tant le style de Jacquemond frappe : "je me mis régulièrement, à partir de cette époque, à trembler, c'était bien le signe qu'un fantôme m'avait frôlé" note le narrateur. C'est aussi un roman car peu à peu l'intrigue se développe et ce jeune homme qui écoute avec Mick Leonard Cohen comprendra bientôt le lien secret qu'il entretient, par delà les générations, avec New York.

Certains opposeront le roman de Bramly à celui-là, le premier racontant le monde quand le second peut sembler plus centré sur l'intime du narrateur. J'aime pour ma part autant l'un que l'autre et la richesse d'une littérature est de pouvoir proposer aussi bien l'un que l'autre, sans oublier que Jacquemond publie ici sa première fiction quand Bramly est déjà un vieux routier. Enfin, cela rappelle surtout l'artifice de la distinction entre fiction de soi et récit picaresque. en 120 pages écrites à la première personne, Olivier Jacquemont raconte aussi son époque, ses rêves et même ceux de la génération d'avant.. L'intime est toujours une histoire collective.

Le premier principe, le second principe Serge Bramly, Le livre de poche



Sur le thème éternel des apparences et du réel, Serge Bramly a réussi avec le premier principe, le second principe (titre un peu pompeux emprunté à la thermodynamique, sans grand intérêt ici) un bon roman d'espionnage. 700 pages difficiles à résumer de peur de déflorer le plaisir du (futur) lecteur. C'est la rencontre fortuite sous le pont de l'Alma d'une princesse d'un paparazi et des services secrets, sur fond de ventes d'armes à l'Iran sous les septennats d'un président de la république socialiste.
Le grand talent de Bramly provient de sa manière d'utiliser les images dont nous sommes rassasiés pour nourrir son intrigue. Ainsi tout commence par le récit d'une jeune femme accidentée de la route, un récit d'une soixantaine de pages, d'abord très intrigant, puis peu à peu le lecteur croît reconnaître la situation, jusqu'au moment où il recolle cette histoire avec l'Histoire.
Déjà, Bramly est revenu en arrière, à un mariage princier quelques années plus tôt, à un événement planétaire en mondiovision, auxquels assitent forcément, tous les protagonistes de son livre, aussi bien Max le photographe que l'agent qu'on appelait dominique, Monsieur Joyeux un trafiquant d'armes et les frères Azzam, sans oublier l'étrange narrateur et un membre du cabinet d'un jeune ministre socialiste prometteur...
Tout est dit dès ce moment. Derrière les images officielles d'un bonheur mis en scène, tout le monde sait maintenant que la vérité était tout autre. La mariée était d'autant plus belle que le glamour du conte de fée était factice. Pour Bramly, l'Histoire obéit à cette règle invariable. Plus nous voyons des images, moins nous savons.. La société du spectacle est une société du mensonge permanent. Nous vivons dans un décor d'opérette, tandis qu'ailleurs se nouent des alliances aux conséquences autrement plus tragiques qu'une mésalliance, fût-elle royale.
Roman d'espionage certes, mais aussi analyse de caractère. Il ne faut pas s'attendre en lisant ce roman à voir des camions exploser, assister à des tueries toutes les trois pages façon grand spectacle hollywoodien. Chez Bramly, la cruauté est écoeurante et éprouvante pour le lecteur : le récit d'une vengeance africaine et d'un règlement de comptes sur fond de guerre yougoslave sont d'un naturalisme frissonnant loin de toutes les esthétisations de la violence guerrière que le cinéma nous offre. Plus subtilement, le livre raconte un monde finalement très plat. Au fil des 700 pages, le suspense est ténu, Bramly s'attachant surtout à nous narrer comment les personnages finissent par arriver là.. sous un tunnel où ils n'auraient pourtant jamais dû se trouver. Encore une fois, sans rien dévoiler, le retournement final est excellent, et le personnage de l'espion sinologue qui mène la troisième partie de l'intrigue est un personnage véritablement attachant.
Ce n'est pas un turning page à l'anglo saxonne, c'est bien plus que ça : un vrai roman avec des personnages. Toutes ressemblances avec des personnages....

A propos de la photo : sur les lieux du mur de berlin, monument comémorant la mort du premier habitant de l'est ayant voulu passé à l'ouest clandestinement.
Photo modifiée : une boite à biscuit commémorant un mariage princier...