dimanche 6 juin 2010

L'autre jardin Francis Wyndham



photo PB

Court roman ou longue nouvelle (à peine plus de 100 pages), l'autre jardin est le portrait de Kay Desmaret, la fille aînée d'un voisin du narrateur. Kay est un peu plus âgée que lui, de sorte qu'on sent bien que si amour il y a, il n'est pas vraiment possible. C'est donc un portrait amical qui est dressé au fil des pages, un très joli portrait. Le récit commence dans les années 30 et se termine après la seconde guerre mondiale qui joue un rôle dans l'évolution des personnages, ne seraient ce parce que les jeunes hommes sont mobilisés.
Le talent de Wyndham est de faire le portrait de Kay sans jamais s'attarder sur elle. Un des chapitres narre une réunion avec les dames de la bonne société locale, qui par contraste éclaire les motivations de Kay, une jeune femme trop libre pour son époque, mais pas assez pour échapper à son destin. Car Kate est prisonnière de parents avec lesquels elle entretient une relation "complexe". Malheureuse parmi eux, elle ne peut pourtant se résoudre à partir, jusqu'au jour où lors d'une querelle domestique l'obligera à fuire, l'amour de Kay pour un chien étant plus fort que sa vie même.
Denis, un ami du narrateur écrit à propos de Kay : "même lorsque nous échangeons à peine deux mots, elle est d'une compagnie très agréable -...- Il y a quelque chose de tragique chez elle, je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi peu sûr de soi." Tout est dit d'un personnage inoubliable au charme fort qui, on le comprend a pû marquer le narrateur, encore jeune homme. Le toujours pertinent Benjamin Berton évoque dans sa critique de fluctuat.net une cousine de Blanche du tramway nommé désir. Kay me rappelle de façon inexplicable une sorte de cousine de l'héroîne de breakfast at compagny.
Attention, petit chef d'oeuvre !

Editions Christian Bourgois

L'imposteur Damon Galgut


Adam perd son emploi alors il demande à son frère les clés d'une ruine qu'il possède dans une région désertique de l'Afrique du Sud. Il y croise un dénommé Caning, qui se présente comme un ami de pensionnat, et qu'Adam a visiblement oublié, et pour cause, tant Caning est présenté comme une sorte de Monsieur Tout le Monde. Sauf qu'en l'espèce MOnsieur TOut le monde a hérité d'un père haï un domaine, avec la fortune qui va avec et qu'il a épousé, les temps changent, une sublime femme noire. Mais Adam n'a visiblement pas lu les 10 commandements et ignore que "tu ne convoiteras pas la femme d'autrui".
Adam ayant des vélléités poétiques, il est venu aussi taquiner la muse, comme on dit, tandis qu'il a pour voisin un homme étrange qui l'observe, travaille dur dans son potager et réalise quand le soir vient des sortes d'oeuvres d'art naÏf.

Rarement j'ai été aussi partagé sur un livre : pour tout dire, il me semble trop parfait, tout s'emboite trop bien, chaque geste semble étudié, réfléchi et je repense à cette citation qu'aurait faite françois truffaut (c'est sylvain qui me l'a dit), "les grands films respirent grâce à leur défaut". Or là de défauts il n'y en a point à mon sens.
Et l'instant d'après je me reprends : peut on reprocher à un livre d'être trop réussi ? car derrière cette histoire ce que Damon Galgut dresse c'est u portrait de l'Afrique du Sud moderne, où après l'apartheid tout n'est pas parfait, loin de là. Tout le monde est imposteur dans ce roman, où le passé est pour tous une source de tourment. Pour l'un parce qu'elle le renvoie à son père honni. C'est peut être cette partie là qui est la plus réussi : Galgut invente d'intéressantes variations sur l'impossible relation entre père et fils. Là où le père voulait faire un zoo, conservatoire de l'Afrique première, le fils noue de troubles relations avec le nouveau pouvoir pour établir un golf de luxe. "je m'endors heureux, chaque soir, en pensant à la façon dont je vais démanteler son rêve". Car le paternel était un sud africain d'avant, un homme pour qui la sépération raciale allait de soi, mais capable aussi d'apprendre la langue de ses domestiques noirs.. mais qui ne supporterait pas de voir son fils marié à une femme noire. On retrouve là toute les nuances qu'on trouve dnas les grands romans sudistes des écrivains nord américains, je pense notamment à Lousiane de Louis Bromfield.. mais c'est une autre histoire
Sans parler du rapport trouble entre le narrateur et ce Canning..
Alors, suis je un enfant gâté qui métite un coup de pied aux fesses pour faire la fine bouche devant cet ouvrage ? Ou bien l'imposteur en dépit de ces incontestables qualités et du portait contrasté qu'il fait de l'Afrique du Sud mérite-t-il mes réserves ?

Détail étonnant, alors que j'écris ces lignes, j'entends sur radio classique la crititque d'un roman sud africain....


Editions de l'Olivier

Ce qui était perdu, Catherine O'Flynn


Un roman recommandé par Jonhattan Coe, l'auteur inégalé de Testament à l'anglaise et du Cercle fermé ? Vite je fonce d'autant qu'il est publié par Jacqueline Chambon, une vraie éditrice comme je les aime (à cet égard il faut lire à tout prix Le cercle de feu de Hans Lebert, un auteur qui a influencé le prix Nobel Jelinek). Mais revenon à Ce qui était perdu.
Kate est une pré-adolescente qui se prend pour un détective. Le livre commence par le récit de ces aventures dans ce que j'imagine être une ville moyenne de Grande Bretagne (en relisant je découvre que l'histoire se passe à Birmingham). Son grand plaisir ? Elle suit les gens, établit des rondes et aime traîner dans un méga centre commercial tout nouveau, tout neuf, avec sa peluche dans son sac.. voilà pour la première partie
Vingt ans plus tard, le même centre commercial a gagné une extension et ce que Souchon appellerait une foule sentimentale va et vient. D'autres y travaillent comme Kurt, agent de sécurité, ou Lisa, manager comme on dit maintenant dans une grande surface culturelle. L'un et l'autre vont se rencontrer et découvrir qu'ils sont liés à la disparition de la petite Kate car la petite fille disparaît.

Tout de suite, on voit ce qui a pû plaire à Jonhattan Coe dans un tel livre : une construction maîtrisée de bout en bout et qui a du sens. Car si l'auteur fait le choix de portraits fragmentés, c'est qu'elle montre l'ultra moderne solitude, toujours Souchon, telle qu'elle est. Des gens qui se côtoient et se croisent. Le héros du livre est le centre commercial qui incarne peut être mieux que tout le changement d'époque, qui est le symbole de "ce qui est perdu".
Mais là où un (mauvais) romancier produit un texte expérimental plus ou moins réussi (car les auteurs en France produisent des textes, ils n'écrivent pas) Catherine O'Flynn conserve tout ce qui fait le plaisir de la fiction : des personnages, une histoire, et, même un suspense. C'est un émouvant portrait de la middle class que dresse l'écrivain, entre rêves et consumérisme, entre besoin d'amour et solitude pathologique. Le plus réussi de ce livre est peut être son ouverture avec le récit de la vie de la jeune Kate, qui pourrait être très misérabiliste, façon écrivain engagé, et qui a quelque chose de la fraicheur de l'enfance, cet âge où tout ce qui est autour semble donné. Je ne crois avoir jamais rien lu qui restitue de façon aussi juste la voix intérieure d'un enfant.
Un seul bémol : la fin est peut être un peu trop mélodramatique. POur le récit il fallait sûrement que l'irrémédiable se produise, mais le suicide d'un personnage dans le parking du centre commercial est la seule faute de ce roman que comme Jonhattan Coe, je n'ai malheureusement pas son talent, alors je partage ses avis, que je vous recommande


Editions Jacqueline Chambon