dimanche 27 février 2011

Retrait de marché Clément Caliari


Quand la fiction rejoint la réalité. Paru début janvier, ce retrait de marché résonne bizarrement avec l'actualité récente, mais bon je ne demande pas à la fiction d'être une sorte d'horoscope du réel, prédisant ce qui va arriver, y'a des journaux pour ça.

Revenons donc au texte, soit les aventures de Louis Lémure, chercheur médiocre qui par le plus grand des hasards découvre un antibiotique miracle. Plus exactement il croît découvrir une molécule miracle.. surtout pour les profits de son entreprise et la suite de sa carrière. Dans la France des années 50, lémure rêve de gloire comme celle de son idole le général de Gaulle, mis en réserve par une quatrième République qui se passe très bien de lui. Le médicament s'appellera le Résiston il sera distribué et imposé de manière agressive puis retiré du marché. Déjà à l'époque, pour gagner plus, il fallait aller plus vite, quitte à prendre des libertés avec les essais cliniques, ce qui coûte ici la vie à des malades. S'en suit une fuite du héros vers l'Algérie où il tente vainement de devenir un autre, bientôt rattrappé par le père d'une de ses victimes. Le roman se termine par la narration du procès de Lémure et de sa captivité, tandis que sa famille se désagrège.

Pour un premier roman, ce retrait de marché est plutôt pas mal, avec une bonne dose d'humour, notamment dans la description de la vie de Lémure et de sa famille. La reconstitution est plutôt réussie. Ce qui l'est moins, c'est la passion du personnage principal pour l'alcool et les sortes de délire qu'elle provoque, mais passons ce n'est qu'une partie du roman.

En y réflechissant au moment d'écrire, je réalise surtout que c'est un roman dont chacune des parties fonctionne très bien. La découverte par hasard de la molécule, sa mise sur le marché triomphal, l'igorance des mises en garde, la découverte de l'erreur, la fuite en Algérie, le procès et la prison.

Pourtant, l'ensemble m'a laissé sur ma faim, je ne saurai dire pourquoi. Peut être parce que les personnages restent des esquisses, d'ailleurs intéressante – le scientifique raté, son épouse bourgeoise, sa grande fille célibataire, le cgtiste hongrois - qu'ils manquent d'épaisseur à part peut-être Louis lémure. Si le personnage du scientifique raté est intéressant dans sa quête de gloire – il veut la molécule comme le premier candidat venu de la Star Academy cherche à faire un tube, il reste aussi assez plat. Pour un roman qui se passe dans les années entre 1955 et 1958, dont le héros est admirateur de De Gaulle, on ignore son passé pendant la seconde guerre mondiale, pas plus qu'on a la moindre idée de sa propre famille.

Les personnages deviennent dès lors des sortes de pièces d'une mécanique qui tourne très bien, mais qui manque d'épaisseur humaine. Mais peut-être était ce le projet de l'auteur, montrer un monde déshumanisé, un monde désenchanté où la guerre étant finie, les grands combats deviennent vains n'ayant pour seul enjeu une gloire narcissique ou le profit immédiat...
Après tout un roman qui soulève de tels interrogations est forcément bon. Bonne lecture

Gallimard 18,90

Les pensées sauvages Marc Durin Vallois


Pour des raisons trop longues à expliquer ici, j'ai lu presque tout Durin Valois, notamment ces romans africains (chamelle, l'empire des solitudes et noir prophète), des romans intéressants. Durin Valois avait signé dans son dernier roman, noir prophète, un très beau passage qui m'a marqué profondément : l'errance en voiture d'un de ses personnages dans une banlieue pavillonnaire allemande. C'était ça qu'il fallait qu'il travaille, mais l'Afrique, qui a joué un rôle dans sa vie, semblait lui tenir plus à coeur.

Et puis paraissent ces pensées sauvages, soit un drôle de roman qui ne ressemble pas vraiment à ce que faisait durin vallois jusqu'ici, si ce n'est son goût pour les univers ensoleillés, où tout est au bord de la liquéfaction. Soit antonin, un jeune homme qui vient de rater l'entrée à normale sup pour la deuxième année, qui vend l'appartement parisien que ses parents lui ont payé pour étudier et part à bord d'une décapotable s'installer dans une maison de famille aussi délabré qu'il l'est, avec pour unique bagage des liasses de billet et quelques hectogrammes de poudre blanche.

La rencontre de ce jeune homme et du village sera l'histoire de ce roman où la force de la jeunesse encore indomptée s'oppose aux braves gens qui n'aiment pas que. Antonin sympathisera très vite avec Bernadette, une jeune adolescente aussi laide que lucide, puis avec les habitants d'une maison, qui réunit autour d'un patriarche (ex psy) une brochette de femmes de tous âges qui tournent autour d'Antonin. A moins que ce ne soit lui.

Sur une trame aussi peu réaliste, Durin vallois réussit en moins de dix pages à imposer son sujet. Très vite le lecteur est pris par la narration, au delà des possibles invraisemblances. Car qu'importe qu'il faille un peu plus de temps que ce que cela prend au héros pour vendre son appartement (L'auteur m'indique qu'il s'est renseigné auprès d'un notaire, et qu'il est donc possible de vendre en deux mois un bien. Dont acte). Ce qui est vrai et bien rendu par le roman c'est l'état d'esprit de ses personnages. A aucun moment, on ne doute de la réalité de leurs sensations, de leurs ressentis. Cet adolescent en crise, qui n'arrive pas à rentrer dans le monde

Les pensées sauvages est un roman d'apprentissage où l'apprentissage est le sujet du suspense. Que vient chercher Antonin ? Que trouvera-t-il ? Qui est-il ? Ce sont ces questions mouvantes qui constituent la trame du roman, une trame qui évolue donc à mesure que le récit progresse.

Les pensées sauvages emprunte donc une narration chronologique. Autre mérite du roman : son style. Quand tant d'auteurs écrivent dans un style oral pour faire jeune, Durin Vallois donne à son jeune héros un style classique autrement plus convaincant. A l'oralité à outrance prisé des auteurs qui veulent faire jeune, il donne à son héros quelques subjonctifs de l'imparfait qui ne jurent pas. Car la jeunesse n'est pas une question de « tu vois ? » et autres « j'veux dire » mais une question d'urgence paradoxale à vivre, alors qu'on a tout le temps devant soi, en somme « de vivre dans une liberté absolue qui ressemblait à la mort. »

Plon 18 euros

Hors service Sloja Krapu


Même les femmes parfaites, comme Eva Lena, le personnage principal de ce roman, font des erreurs. Il en naît parfois des romans comme ici avec l'histoire de la mésaventure survenue à Eva Lena qui se retrouve enfermé le temps d'un week end dans le local à photocopies du collège où elle enseigne en Suède. Le temps de cette claustration involontaire, elle prendra conscience de l'enfermement sa vie de quadra parfaite, entre excellence professionnelle, enfant modèle, ado rebelles et mari « l'esprit ailleurs ».

Le roman emprunte une construction alternant les récits : celui de l'héroine enfermée, de sa vie d'avant (notamment de sa rencontre avec une amie d'enfance qui est son anti thèse) mais aussi de son mari. C'est très ancré dans le quotidien, avec des personnages qui ont une vraie profondeur psychologique, notamment Eva Lena. Son amie Aurora paraît un peu plus forcée : la fille toujours heureuse de la vie, qui continue d'y croire même si son grand amour est mort. Tandis que bien sûr Eva Lena ne sait pas se contenter de ce qu'elle a... On frôle par moments la caricature. « Elle dit qu'elle a besoin des gens. Elle dit qu'elle a besoin de ses enfants. Qu'elle a besoin de proximité. Moi je dis toujours que ce sont les autres qui ont besoin de moi. Que rien ne pourrait fonctionner si Je ne m'occupais pas de tout »

C'est souvent drôle, l'héroïne, comme toutes les personnes perfectionnistes a quelque chose de ridicule. D'ailleurs ce roman évoque les meilleurs comédies, mais aussi les séries télévisées ancrées dans la description de la vie quotidienne. C'est le ras le bol de la quadragénaire qui découvre qu'elle est en train de passer à côté de sa vie, qu'il ne suffit pas d'avoir une maison parfaitement décorée, une allée sans herbes et ne pas manger de crème fraîche pour être heureux.

Car hors service décrit aussi le quotidien dans un pays scandinave, avec des côtés relativement effrayant notamment dans le collèg, où oeuvre le personnage principal, collège où tout est négocié en permanence. Un monde où les normes sociales semblent lourdes. Eva Lena est une cousine scandinave des desesperate houseviwes.
Gaia 21 euros

dimanche 6 février 2011

La blessure la vraie, François Bégaudeau, Verticales


Brûler celui qu'on a aimé.. vieille manie. Bégaudeau qui a été loué quand il publiait hors les murs chez verticales s'est vu de plus en plus critiqué à mesure qu'il a eu du succès. Comme si le talent baissait inversement à la renommée. Tant pis pour les mauvais couchers. Si la chasse au bégaudeau est ouverte, ma bibliothèque restera un espace protégé pour cette espèce menacée, aussi longtemps qu'il écrira des livres aussi bon que la blessure la vraie.
Nous sommes en 1986, le narrateur part en vacances avec ses parents, et a décidé de perdre son pucelage comme on disait encore à cette époque. Sur place, il retrouve ces amis d'enfance(du tombeur professionnel au gentil garçon qui mourra, en passant par le looser magnifique et un idiot du village) et découvre les jeux de l'amour et du hasard perdu entre plusieurs jeunes filles, qu'il voudrait toutes séduire.. Qui trop embrasse, reste puceau, tel pourrait être la morale de cette version littéraire de la boum 2. Mais il n'en est rien car le narrateur est communiste et bégaudeau a de l'humour et de la fantaisie, cette qualité si mal vu en France où il faut être pesant si on veut être pris au sérieux.
"j'ai commencé les pensées de Pascal, je suis communiste et je rougis quand une fille dit jouir" résume assez bien le narrateur, sérieux trop sérieux, avec toute le sérieux dont on n'est capable qu'à l'adolescence, et sa timidité.
Plus métaphysique aussi mais toujours aussi inspiré : "on pleure d'être mortel et on vit comme un immortel, comme un petit bourge pourri gâté d'immortel qui pète plus haut que ses pauvres soixante années vouées à s'écouler dans l'indifférence générale jusqu'à l'égoût d'un cimetière sans croix".
Car le rire ici n'est pas que divertissement, comme aurait dit Pascal que lit le héros. Il est, comme chez Gombrowicz, une réponse métaphysique à l'absurdité du monde et de la vie. Comme le martèle la mère Baquet à travers ses sentences et anecdotes. Le paysage des vacances est aussi un champ de bataille : là une morte parce qu'elle ne pouvait plus revoir son amoureux, ailleurs un homme pendu par désespoir.. mais toujours avec le sourire.
Il y a aussi le personnage du personnage du cinéaste parisien, chez lequel le jeune narrateur passe un dîner d'anthologie, ses hôtes ivres délirant sur le réel.
Ce pourrait n'être qu'un roman générationnel. Mais Bégaudeau est malin (trop peut-être??) pour faire un roman nostalgique. S'il cite les accessoires et éléments de décor qui feront réagir ceux qui ont connu les années 80, il ne tombe pas dans ce biais de l'époque, l'auteur commentant ici ou là l'éphémère de telle ou telle mode.
Et pour lever l'ambiguité, il s'offre à la fin un départ dans l'imaginaire, dans une sorte de polar fantastique et fantaisiste.. jusqu'à la fin qui n'en est pas vraiment une.

Ps : j'ai oublié un point. la jeunesse, l'adolescence, c'est la vitesse l'impatience. Le style de l'écriture rend cela très bien. C'est à ce jour le livre où j'ai le mieux ressenti cette impatience essentielle

La vie privée de Mr Sim Jonathan Coe, Gallimard


Actuellement en promo dans la presse française, Jonathan coe explique partout que non ce ne livre là n'a pas la même veine que Testament à l'anglaise et que la critique britannique le lui reproche (ce qui d'ailleurs est très amusant car en France les "artistes" couinent toujours qu'ici on nous met dans des cases contrairement aux pays anglo saxons, l'Angeterre ne doit donc pas être un pays anglo saxon) et bien je dois être un critique anglo saxon car il est certain que cette vie très privée de Mr Sim pour réussie qu'elle soit n'est pas aussi forte que ledit Testament à l'anglaise, tout en étant un excellent roman.
Soit un homme moyen et conscient de l'être, pas très chanceux (le genre qui, voulant nouer des relations avec son voisin de siège d'avion, se retrouve à voyager à côté d'un cadavre) ,Mr Sim comme la carte l'humoriste, en dépression après le départ de sa femme et de sa fille qui, sur les conseils d'un vieil ami, décide de participer à une opération publicitaire pour des brosses à dents bio. Mr Sim pour cela devra traverser l'Angleterre et rejoindre l'Ecosse. Sauf que le roman de Coe est plus que ce résumé de l'action principale. Avec un art de la construction toujours aussi grand, Coe bâtit un roman qui mêle monde moderne, quête de la gloire et drame familial. Comme dans les meilleurs Almodovar, le récit principal l'épopée de Mister Sim qui se retrouvera bientôt avec pour seule compagne la voix de son GPS (une sorte de comble de la solitude) progresse grâce à des récits annexes (comme le film dans les derniers films d'almodovar, là ce sera une composition d'une étudiante, les mémoires de son père et le récit d'un aventurier des années 60 qui avait décidé de tromper tout le monde plutôt que d'affronter la vérité, quitte à en mourir.
Le récit de Coe brasse tous ces thèmes tout en racontant une histoire linéaire avec ce qu'il faut de suspense pour donner envie de tourner la page.. Parabole sur l'ultramoderne solitude comme chantait Souchon, la vie très privée de Mr Sim n'oublie pas l'humour de Jonathan Coe, qui rend tout plus léger. Rien n'y est vraiment tragique, au contraire.
Roman du temps qui passe, il montre avec subtilité que tout change et rien ne change non plus. Tout change, car c'est aussi une promenade nostalgique dans l'angleterre d'aujourd'hui. Les traces d'hier ont disparu, mais gardons nous d'être trop vite nostalgique, nous dit l'auteur. Après tout, le père du "héros" s'est en partie ruiné après des paris hippiques qui ont des airs de subprimes d'avant les marchés financiers. La quête de martingale est aussi vieille que la banqueroute. Mieux, le temps qui passe est l'occasion de se trouver et de se comprendre, pour peu qu'on entreprenne un voyage initiatique, comme ce Mr Sim qui, quand il ne rejoint pas le point le plus au nord du Royaume-uni, part retrouver son père en Australie. Voyage voyage qui peu à peu change le héros.. jusqu'à cette scène à 400 pages d'écart. Le héros se retrouve dans un restaurant australien a admiré la complicité liant une mère et sa fille.. sauf qu'entre ces deux scènes, du temps a passé. On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau. Pas plus que deux livres de jonathan Coe, ne se ressemblent...