dimanche 17 avril 2011

La guerre aux chandelles Daniel Alarcon



La guerre aux chandelles est un recueil de nouvelles, d'une étonnante cohérence. L'auteur est né au Pérou, lieu où se déroule les neuf nouvelles. Plus qu'une identité de lieu, ce recueil forme un tout en ce sens qu'il constitue un portrait de ce pays, comme une sorte de diaporama infernal des horreurs de la vie en Amérique du Sud. Ici on ne trouve ni fantastique, ni exaltation d'un monde merveilleux. C'est la difficulté de la vie quotidienne qui est racontée : de la guerre des gangs à la guerre civile, en passant par les catastrophes naturelles et les envies d'immigration. Un des textes les plus poignants raconte la survie d'un père et de ces deux enfants après qu'une coulée de boue a ravagé la vallée où il vivait jusque là. En quelques pages, toute la cruauté du monde est là. Une autre nouvelle raconte la vie d'un jeune peintre qui réussit à obtenir un visa aux Etats Unis où il restera peut être. Quand à la fin, il rencontre une jeune américaine qu'il va séduire : sera ce par opportunisme ou attirance ou les deux mêlées ? L'auteur se garde de donner la solution.. car c'est de l'ambiguïté, source de drame, qu'il est ici question.

Le style d'Alarcon est l'anti tire larmes : il n'en fait jamais trop, reste au bord de ce qui pourrait être d'indécents violons ou des trucs pour créer une complicité avec le lecteur. Son écriture est presque sèche. Est ce un effet de la traduction ou de son passage aux Etats Unis, toujours est-il que son écriture est rapide et précise allant à l'essentiel. C'est le genre d'auteur capable en trois phrases de faire exister un personnage secondaire.

Page 245, un personnage résume assez bien la tonalité d'ensemble : « Dans cette ville, il n'y a rien de plus inutile que d'imagner une vie. Demain est tout aussi impossible à deviner que l'année prochaine, et on ne peut s'accrocher à rien de solide. Il n'y a pas de travail. Il n'y a rien que j'aurais pu lui promettre à ce moment-là qui n'aurait pas été purement imaginaire. Ou, pire, le fruit du hasard. »

Albin Michel 22 euros

Tu verras Nicolas Fargues


De Nicolas Fargues, j'ai lu plusieurs romans, dont le meilleur reste Rade Terminus - ce récit sur les relations Nord Sud, vus depuis Madagascar - suivi de Beau rôle. D'autres m'ont paru beaucoup moins intéressants, c'est mon problème.
Le thème de Tu verras m'intéressait parce qu'il révèle ce talent qu'a Fargues d'aller creuser des territoires vierges : un père confronté à la mort de son fils ado . De ce côté là le roman est plutôt réussi. La bonne idée est d'avoir « fait mourir » Clément à l'âge où il commence à emprunter son propre chemin. La séparation définitive est d'autant plus forte que le père et le fils commençaient à s'éloigner, le teen ager ayant le mauvais goût aux yeux de son père de préférer le rap à Georges Brassens et la mauvaise habitude de porter son jean un peu trop bas.
Là où on retrouve aussi la patte de Fargues c'est dans sa description au vitriol des uns et des autres, notamment de l'entourage propre. Il possède une sorte d'acide pour décrire les lâchetés des uns et des autres. Tel est un des talents de Nicolas Fargues : cette aptitude à voir ce qu'il peut y avoir de minable chez les uns et les autres. Cet auteur a une sorte de caméra infra rouge pour repérer les égoïsmes cachés, du collègue gêné à la petite amie odieuse... Et pour la formule choc, « à défaut d'amour, une longue douche c'était déjà ça. »
Là où ça se gâte, c'est dans le déroulé du roman. Plus fabriqué que ce « tu verras » c'est difficile. Un roman est construit, c'est même son principe, le problème c'est quand on voit encore l'échafaudage ou les coutures au fil blanc. Résumons ce que l'auteur et l'éditeur pensent être une intrigue : le père est malheureux, il va à l'incinération de son fils où il revoit son ex femme, il plaque sa copine vraiment trop égoïste (sa femme en pire), retourne au travail, et erre avec sa voiture, jusqu'à une banlieue où forcément il rencontre un un gars dont l'oncle est marabout en Afrique. Il voit aussi deux témoins de la mort de son fils, un premier aussi lâche que le reste de l'hmanité et un second, une femme africaine, bien sûr pleine de sensibilité et d'empathie, mais sans en faire trop.. Je résume la suite : il finira par partir en Afrique voir l'oncle marabout du copain du vendeur de shit et tout finira par cette phrase sublime : « mon écran où ne s'affichait plus rien, ressemblait à une page blanche mais rétive à toute inscription ». Ce genre de formules constitue le second problème du roman : parlant du chagrin « j'ai laissé sortir par mes yeux et ma bouche cette irrésistible montagne dont je ne savais si elle restait à gravir ou si j'en approchais enfin le sommet », une métaphore qu'il utilise à plusieurs reprises. Il a raison, elle est tellement réussie ! Quand il va en Afrique, le personnage principal a des réflexions d'une puissance redoutable : « Il (un jeune africain) mourra sans doute (on sait jamais faut être prudent) sans jamais avoir enfilé une doudoune ni un passe montagne de sa vie ». Au moins, la mort de son fils l'a rendu lucide. Et ma préférée pour son audace électrique : « Il me semblait que toute ma détresse trouvait sa résolution dans ce paysage nouveau et impartial, ni compatissant ni indifférent, un peu comme une prise terre prévient un appareil électrique défectueux d'un accident fatal ».
L'auteur aurait beau jeu de dire que c'est le personnage qui parle, qu'il est maladroit, qu'il a une certaine pauvreté à exprimer ce qu'il ressent. Je lui répondrai que le personnage c'est l'auteur qui le crée et qu'il n'a qu'à se débrouiller pour avoir un style original qui réussisse à rendre sa banalité, qu'écrire un roman c'est prendre parti et que l'ironie qu'il utilise parfois avec talent (dans rade terminus) est un moyen de prendre position, pas de se cacher derrière son petit doigt. Car le malaise du roman vient du sujet trop grave qu'il aborde par rapport à ses moyens littéraires au moment où il écrit (n'insultons pas l'avenir). Il excelle à décrire le monde parisien, les lâchetés et les compromissions quotidiennes, c'est aussi un très bon observateur de la ville et du monde, c'est incontestable et ce livre le prouve, la première centaine de pages est de bonne facture.
Reste que face à un sujet aussi difficile, il ne brise pas l'armure et reste dans ce qui pourraient être des trucs. Les prochains livres de Nicolas Fargues que je lirai le diront..

Editions Pol 15,50 euros

Pour info : une critique plutôt favorable d'un critique que j'aime bien

samedi 16 avril 2011

Sciences morales, Martin Kohan,



Et si les plus grands livres étaient ceux qui mettent en scène une oie blanche qui découvre la corruption du monde, alors Sciences morales serait un très très grand livre. Roman argentin, Sciences morales a dû être publié parce que Buenos Aires était l'invité du Salon du livre, ce qui donne une justification à ce grand barnum vain et ennuyeux qui se tient chaque année Porte de Versailles. Merci le salon, merci le Seuil et merci aux libraires de la librairie de l'atelier qui avaient invité l'auteur ce qui m' a permis d'acheter ce livre.
Soit l'histoire de Maria Teresa, une jeune femme, surveillante dans un prestigieux lycée argentin alors que dehors la guerre des Malouines commence, une guerre que son drôle de frère est parti faire. Voilà maria Teresa seule avec sa mère dépressive et ses élèves de la troisième section dix. Zélée, la surveillante découvre bientôt qu'un des garçons sent le tabac et décide de mener l'enquête.. dans un endroit singulier : les toilettes des garçons du lycée.
Le style de Kohan est très clinique, au plus proche des faits et du monde matériel, avec très peu d'indication des sentiments (un trouble ici ou là), il raconte les heures passées par cette jeune femme enfermée dans un wc à la turque. Drôle de sujet, et pourtant ça tient, ça marche, le malaise est palpable, d'autant que le lecteur est dans une position symétrique, observant ce personnage enfermé dans un cabinet.
C'est aussi d'érotisme qu'il est question, car la surveillante connaît un certain trouble à imaginer ce que font les garçons avec « cette chose qu'ils ont » comme elle dit, notamment un des élèves qui porte le même parfum que son frère. La dictature qui mène les jeunes garçons à la guerre est la même qui empêche la narratrice de nommer le sexe des hommes et qui la conduit vers une tragédie intime. En effet, le surveillant général réputé avoir participé à une opération de répression dans le passé s'intéresse de près à cette jeune fille, que personne d'autre ne remarque. Ensemble, ils se retrouvent dans un café, loin de la place. Un temps, Maria Teresa imagine qu'il pourrait être l'homme de sa vie. Mais le romantisme s'invite rarement dans les toilettes. Pourtant, le roman s'achève sur une touche plutôt optimiste, lié à la défaite argentine aux malouines et à la chute du régime politique.
Pour ne dire qu'une chose du talent de Kohan, j'évoquerai le frère de Maria Teresa. Il doit avoir à peine vingt ans et très peu de choses sont dites de lui. Il envoie régulièrement des cartes postales qu'il signe de son seul prénom et pourtant il est terriblement présent. Plutôt réussi.
Enfin, il faut féliciter le travail des éditions du seuil : rarement j'ai vu une couverture aussi bien résumer le contenu d'un livre.
Dernier point : peu de psychologie dans ce livre et ça fait du bien mais du bien.

éditions du Seuil 19,50

Chronic City Jonathan Lethem



Difficile de parler de ce que les critiques qui ont du style appellent un Ovni littéraire, c'est-à-dire un livre singulier ne ressemblant à rien de lu jusque-là (qui a bien un petit défaut, il est peut- être un peu trop long, et pourtant je ne vois pas ce qu'il faudrait lui ôter). De même auteur, j'avais lu les orphelins de Brooklyn, un roman qui ne m'avait pas laissé une très grande impression. Pour tout dire, je serai bien incapable de dire même de quoi il y était question.
Preuve qu'il faut parfois insister, cette chronic city m'a emballé illico. Je ne sais plus quel auteur surréaliste définissait son art comme la rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre (j'avais appris ça au lycée... mais le temps passe). Chronic City est l'histoire d'une rencontre aussi peu réaliste entre Chase Insteadman (jeux de mots en américain) et Perkus Tooth. Le premier est un homme encore jeune qui a été, adolescent, le héros d'une série télévisée grand public, tant et si bien qu'il n'a plus trop besoin d'être aujourd'hui, il vit sur sa célébrité passée, ravivée par un drame public : sa fiancée astronaute est perdue dans une station orbitale à la dérive et est atteinte d'un cancer du pied qui provoquera bientôt une amputation dudit membre.
De son côté, Perkus Tooth est un ancien agitateur du Manhattan d'hier, mi critique, mi performeur, le genre qui publie ses « éditoriaux » en les affichant sur les murs de la ville. Intransigeant, il s'est retiré de la vie médiatique, passant sa vie à visionner de vieilles vidéos, obsédé par Brando, persuadé au fond que tous autour de lui ne sont que des Gnuppet, ces marionnettes, dans lesquelles le manipulateur met la main. Nous serions tous manipulés, non par un Dieu – il est mort – mais par le monde moderne. Nous serions tous manipulés sauf Brando et quelques autres.
La rencontre fortuite de l'un et de l'autre est une sorte de précipité chimique qui va tout emporter sur son passage, et avec lui, nos convictions de lecteur. C'est New York et ce n'est pas New York qui est le lieu de l'intrigue, un New York de légende, où chacun joue tellement un rôle qu'il ne semble plus être. « Je suis un vide, que remplissent les gens de mon entourage et qui s'évapore à nouveau lorsqu'ils n'y sont plus », dit de lui Chase. Un peu plus loin, du même : « je n'étais qu'un produit de remplacement que les gens invitaient pour remplir un vide ». Ce n'est sûrement pas un hasard, si un des personnages est un nègre qui écrit des biographies de personnalités connues, notamment un artiste contemporain qui creuse des trous un peu partout.
Voilà pour le ton, mais trêve de choses sérieuses car si le propos est parfois intello en diable, le roman est aussi loufoque et ce mélange de références pointues et de burlesque est une des choses les plus réussi du livre. Rarement, j'ai vu un auteur tenir aussi bien sur la durée sur une tonalité aussi originale, sans jamais se copier. On ne sait jamais ce qui va arriver : New York est la proie d'un tigre mystérieux qui détruit les immeubles, on construit des immeubles pour héberger les chiens sans maître, un des personnages voit le mur de son immeuble occupé par un nid d'aigle, et plusieurs jours durant, une odeur de chocolat flotte sur la ville. C'est un roman aussi où les deux personnages partent dans une quête folle pour trouver des vases réalisés dans une matière étrange, tandis qu'un génie informatique invente un monde parallèle. Certes, Chase et Perkus fument beaucoup d'herbe, ce qui altère peut être leur perception du monde...
Chronic city raconte aussi la fin du New York des 70ies pour devenir une ville normalisée où l'argent a chassé la bohème. Il est bourré de références littéraires, mais si vous ne le savez pas, ce n'est pas grave, car la fantaisie de Lentham est là pour tout faire passer (à part une référence à Don de lillo, je n'ai pas vu les autres cités par de brillants critiques).
Formidable livre sur l'amitié, ce sentiment particulier qui fait que deux être qui n'ont peut être rien à partager a priori que leur ennui, vont aller jusqu'au bout de la vie pour éprouver la seule chose qui soit vraie dans le monde hyper factice de la métropole new yorkaise : les sentiments et ce sans jamais être gnangnan. On dit bravo dans ces cas là non ?

éditions de l'Olivier, 23 euros