dimanche 4 novembre 2012

La grande bleue Nathalie Démoulin Ed du Rouergue La brune

Quand j'ai découvert l'exergue de ce roman que j'avais sauté en l'entamant, j'étais très fier, car en le lisant, j'étais persuadé que l'auteure était sous l'influence de la formidable Annie Ernaux, même si le style de Nathalie Démoulin est plus flamboyant que le style clinique de son aînée. « N'avoir que l'existence et elle ne suffit pas » telle est donc l'exergue et le meilleur résumé du récit de Nathalie Démoulin. Soit l'histoire de l'émancipation de Marie, une adolescente franc-comtoise de la fin des années 60 qui, au début du roman, fuie le domicile familial pour rejoindre Michel, celui qui va bientôt devenir son mari et le père de ses enfants. A l'époque, en 1967, on ne rigole pas avec le mariage. Formidable idée que d'avoir raconté l'histoire de ces femmes devenues adultes au moment de mai 1968, contemporaine de ce chamboulement (sur lequel un ex président de la République jugeait urgent de revenir tout en s'affirmant comme un héritier caricatural de cette époque qui voulait jouir sans entraves, mais c'est une autre histoire), femmes trop éloignées géographiquement et culturellement de la rue gay lussac, pour avoir pris part à ce moment. Chacun sera marqué par tel ou tel détail de la très fidèle reconstitution (à part un billet de 20 francs ananchronique, elle nous a semblé parfaite) : pour ma part, c'est l'omniprésence de la cigarette qui m'a le plus marqué. En ces temps-là, les mères et leurs amies fumaient sans vergogne dans la chambre des enfants. Ceci étant, le récit de Nathalie Démoulin propose donc de raconter l'émancipation de Marie, une femme à la recherche d'un ailleurs (elle-même ?), qu'elle croira trouver chez Michel, puis dans la maternité, avant que les moeurs l'autorisant elle pense à divorcer, fantasme devant le beau fiancé d'une amie ou quitte la Franche Comté pour rejoindre la grande bleue entraperçue ans la piscine, le film de Jacques Derray avec Romy Schneider et Alain Delon. Si le livre est centré sur sa figure, il ne s'y réduit pas, les personnages secondaires sont aussi particulièrement présents et réussis, du mari absent, au frère revenu d'Algérie avec des cauchemars qui le conduisent à l'hôpital psychiatrique, à la belle soeur fantasque qui ne peut pas avoir d'enfants, ou les copines ouvrières. Car pour Marie, la libération passe paradoxalement par l'usine, le lieu où elle gagne sa vie à la perdre comme on aurait dit à l'époque. Tout commence chez Peugeot à Vesoul, se poursuit à l'usine de Myris du côté de Montpellier, en passant par l'usine Lip qui tente un temps l'auto gestion. Le récit est incontestablement un témoignage de ce temps là. La construction du livre en chapître, un par année, de 1967à 1978, enchaîne les chapitres centrés sur le travail avec des échappés au temps des premiers congés payés (ah le récit des embouteillages lyonnais pour rejoindre la Méditerranée), avec des ellipses et des flashbacks qui s'enchainent dans une très grande fluidité. Car l'écriture de Nathalie Démoulin est à la fois ample et précise, poétique et proche du réel « Elle traverse toutes les zones, sans croiser personne, l'usine c'est comme une forêt dont les oiseaux se seraient enfuis, et tous les oiseaux. Le bureau où elle entre est vide. Elle attend un moment sans oser s'asseoir ni s'appuyer, bien droite, convenable. » . Cette structure donne une impression d'album de familles, comme si chaque chapitre était une image arrêtée de la vie de Marie et des siens. Une impression renforcée par l'utilisation alternée du « elle » et du « on », pronom impersonnel qui semble ici être celui de ce qu'il y a de culture populaire en Marie, pronom utilisé aussi pour signifier aussi toute la difficulté de marie à devenir un Je, plein et entier, une histoire qu'a raconté la fille d'agriculteurs normands devenue prof de lettres, Annie Ernaux. La grande bleue raconte l'histoire d'une femme, à la fois emblématique de son époque et pourtant irréductiblement singulière.

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