dimanche 29 janvier 2017

Négar Djavadi Désorientale Editions Liana Lévi

C'est sûrement ce genre d'OVNI qui fait qu'on a toujours envie de lire et d'écrire des chroniques littéraires malgré des moments de doute, de fatigue ou de lassitude voire les trois à la fois. Béni soit ce moment où en plein été on reçoit un livre dont on ne connaît rien d'autre que ce que veut bien vous en dire son éditeur ou l'attachée de presse d'icelui-ci. Et voilà comment est arrivé ce volume d'un joli vert turquoise (je suis quasi-daltonien donc pas sûr de la nuance de vert) précédé d'une réputation flatteuse de la maison Liana Lévi. Et là dès la première page, on est pris par la puissance narrative de Négar Djavadi, inconnue du monde des lettres dont on ignore (alors) si elle le restera longtemps. De quoi s'agit-il ? Du récit monté en parallèle d'une quadragénaire parisienne qui pratique une fécondation in vitro et du récit de l'enfance iranienne du temps du Shah soit avant la révolution islamique. Dans l'un comme dans l'autre, l'auteur excelle. Dans le récit de l'enfance, il y a quelque chose de Marjane Satrapi (on pense forcément à Persepolis) mais en plus âpre, plus sauvage. Car Négar Djavadi est dès son premier roman une auteur qui ne cherche pas à raconter de belles histoires, plutôt du genre à gratter derrière le voile des apparences (voile, Iran je crois qu'il y a un truc là ami lecteur, comme un clin d'oeil), qui sent bien les mensonges des adultes. Les parents de l'héroine étant des intellectuels, le livre est aussi un récit de l'exil, particulièrement intéressant dans le contexte actuel. Le récit de la fuite de l'Iran est haletant. Djavadi dit aussi comme personne la difficulté de vivre de l'exilé. « Avec le temps et la distance ce n'est plus leur monde qui coule en moi ni leur langue. Leurs traditions, leurs croyances, leurs peurs mais leurs histoires. Si c'est moi, qui ai retenu le mieux les récits d'Oncle Numéro 2 et les conversations avec Bibi, si c'est moi qui les ai emmenés par-delà les frontièes comme des trésors cachés, me les récitant longtemps la nuit apèrs avoir quitté l'Iran, allongé sur un matelas au pied du canapélit où dormaient Leïli et Mina pourne pas les oublier, si j'ai essayé de les préserver, et même si j'ai échoué, et même si je les ai laissés couler dans les profondeurs de ma mémoire, si c'est moi encore qui tente de les déterrer, c'est peut-être parce qu'il est écrit quelque part qu'un jour je serais seule dans un hôpital de Pârisse, à quatre mille deux cent cinquante-trois kilomètres de Mazandaran, un tube de sperme sur les genoux ». Tout l'art de Négar Djavadi est dans cet extrait, dans cette phrase labyrinthique mêlant les temps et les lieux et pourtant très clair, rappelant évidemment les récits de Shéhérazade (à moins que ce ne soit mes yeux d'occidental qui me font penser à la princesse des 1001 nuits dès que j'ouvre un récit venant du lointain Orient, succombant au cliché que je chasse dans tout ce que je lis..), ce goût pour mélanger les souvenirs et le futur et surtout cette qualité majeure d'être une femme debout face à son histoire. Il y a quelque chose de fondamentalement réjouissant dans ce roman, à une époque où toutes les victimes, vraies ou supposées, écrivent leurs lettres pour faire valoir une créance. Négar Djavadi n'utilise pas la littérature pour régler des comptes ou accuser. Non, elle sait qu'écrire c'est raconter, témoigner, pas accuser. Elle trace sa voie, plonge dans le passé mais en écrivant un texte tout entier tourné vers l'avenir, et un tour de force prodigieux, comme seule la littérature le permet, en montrant comment ce qui peut sembler le sommet de la modernité (une femme inséminée dans un couloir parisien je ne vous dirais pas pourquoi) est finalement l'aboutissement logique d'une histoire familiale sur plusieurs générations, à l'inverse de toutes les oppositions entre tradition et modernité que nous employons habituellement. C'est ça la force de Désoreientale, qu'exprime d'ailleurs très bien son très beau titre, dans cette capacité à prendre à revers nos oppositions classiques pour mieux les retourner en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire.

James Kirkwood Meilleur ami meilleur ennemi Editions Joelle Losfeld

Avant d'être l'invité permanent des Grosses têtes, Pierre Bénichou fut le numéro deux de qui s'appelait encore Le nouvel observateur. Alors qu'on accusait déjà l'hebdomadaire préféré de la deuxième gauche de connivence, Monsieur Benichou eut ce mot d'esprit : « mais ça ne peut pas être du copinage puisque ce sont des amis ». Ainsi en va-t-il pour les raisons qui m'ont amené à lire ce roman traduit par Etienne Gomez qui est un ami et dont j'ai suivi les tribulations éditoriales. Il n'empêche qu'il est un excellent traducteur comme en témoigne ce premier essai. James Kirkwood est un enfant d'Hollywood et de Broadway, et il est connu pour la comédie musicale A chorus line, son oeuvre romanesque l'est beaucoup moins en France. Meilleur ami/meilleur ennemi publié en 1968 commence par une sorte de prologue où le narrateur expose qu'il est en prison après avoir commis un crime. Il écrit pour raconter sa version des faits. Dès le début, le cadre est posé : emprisonné, il en est presque à remonter le moral à son père défaillant. Kirkwood a travaillé pour le cinéma et le théâtre et ça se sent. Son livre évoque les grands films américains des années 50 ou 60 (on pense à la comtesse aux pieds nus) où le récit commence par un personnage perdu qui par un long flashback comment il en est arrivé là. Avant la prison, il y eut donc une pension de garçons du New Hampshire où Peter (le narrateu) est envoyé, son père semblant déjà ne pas trop savoir quoi faire de lui. Fils d'un acteur (tiens tiens...), il est assez vite pris en grippe par le directeur de l'établissement, un modèle de rigueur puritaine, d'autant qu'il veut rétablir la réputation du lycée après le suicide d'un élève, ex-amant plaqué par le capitaine de l'équipe de football. Le garçon de la côte ouest se retrouve serré de près par le directeur. Sauf que dans sa volonté de reconquête de l'honneur perdu, ce dernier va bientôt avoir besoin de lui : Peter excelle au tennis et le proviseur va décider de lui faire dire un monologue shakespearien.. Tout se passe pour le mieux jusqu'à l'arrivée de Jordan Legier, une sorte de dandy. Lui aussi enfant mal-aimé, il va se lier d'une amitié puisante pour Peter, qui ne reçoit pas vraiment la bénédiction du proviseur jusqu'à la catastrophe. Meilleur ami meilleur ennemi est un formidable page turner comme on dit aux Etats-Unis. Avec cette fin révélée dès le début, le lecteur est avide de savoir comment les choses en sont arrivées à dégénérer jusqu'à un meurtre. La construction d'ensemble est particulièrement bien réussie. Ainsi, peu de temps avant le dénouement tragique, il y a une virée à New York des adolescents qui à elle seul mérite le détour. Plus encore Kirkwood se révèle un très fin observateur. Si la mise en place peut sembler en permier abord un peu longue, c'est pour que le dénouement puisse être plus implacable. Tout est posé dès le début et pourtant à mesure des pages, le lecteur s'interroge en permanence sur les relations entre les personnages. Roman sur l'adolescence, un âge où les sentiments et les émotions sont est exacerbées, il raconte une tragédie sur un ton finalement assez badin. Les scènes de vie dans le pensionnant évoquent certaines séries américaines et Kirkwood n'hésite pas à utiliser l'humour parfois trivial (quand on est interne, on rit d'un voisin pêteur), pour raconter au plus près la vie de cette bande de lycéens. Maintenant que l'oeuvre romanesque de Kirkwood émerge à nouveau de ce côté de l'Atlantique, on rêve qu'un cinéaste comme François Ozon s'en saisisse. On imagine sans mal l'oeuvre délicieusement ambigüe que le réalisateur de Frantz ou de Dans la maison pourrait en tirer. Nul doute qu'un pensionnat français des années 70 offrirait les mêmes ressorts dramatiques et qu'un même trio unis par les mêmes relations de fascination répulsion aboutirait au même résultat tragique. Si François cherche un adaptateur pour le scénario, il peut me contacter je transmettrai